samedi 3 décembre 2016

Rossignol de mes amours - Yvonne Printemps - 3 et fin

Pour mettre un peu de distance entre nous et Paris, nous partons faire une tournée en Grande Bretagne et aux Etats Unis où nous jouerons Noël Coward et Cole Porter! Elle fait encore plus de fautes en anglais mais ils trouvent ça ''so charming'' et tellement parisien!! Yvonne refuse les propositions de Broadway. Ce qu'elle aime, ce qu'elle veut c'est la France, Paris, les Bouffes Parisiens.
Dès notre retour, faute d'auteur dramatique sous la main, ben dame oui!!, elle va s'attaquer à un genre nouveau pour elle, le cinématographe. Les producteurs n'ont jamais eu une grande imagination. Nous sommes un couple célèbre, il faut un couple célèbre à l'écran. Et quel couple plus célèbre que Marguerite Gauthier et Armand Duval. Nous voilà enrôlés sous la direction d'Abel Gance dans une énième Dame aux Camélias qui n'apportera rien de plus aux curriculum vitae d'Abel, Yvonne et moi. Mais cela prépare ce qui va être l'acmé de la carrière d'Yvonne. En 1937 Albert Willemetz et Oscar Straus réadaptent et réécrivent une méchante petite opérette qu'ils ont vue à Bruxelles et le 21 avril 1937 nous créons aux Bouffes Parisiens les ''Trois valses''. 

Dire que ce fut un succès est un faible mot. L'émeute partie de la rue Monsigny rejoignit par la rue du 4 septembre la place de l'Opéra et le boulevard des Italiens. Le lendemain Yvonne fit la une de tous les journaux, sacrée Diva de l'opérette. Les valses de Johan Strauss père et fils et d'Oscar Straus firent le tour de Paris et l'année suivante avec la version filmée elles firent le tour de la France. Nous avons alors racheté en 39 le théâtre de la Michodière pour prolonger le succès des ''Trois valses''. 
La drôle de guerre et l'Occupation n'ont pas changé grand-chose à nos habitudes ce qui me vaudra de croiser à nouveau Sacha dans les prisons de la Libération. Passons! Disons simplement que nous partageons lui et moi la même opinion sur ces résistants de la dernière heure chargés de l'épuration. Le Corbeau, film de Clouzot, que j'ai tourné en 43 en donne une assez bonne idée. Nous avons monté en 42 une pièce d'Henri-Georges Clouzot à la Michodière. Il était marié à l'époque avec Suzy Delair que j'ai bien connue sur le tournage de ''l'Assassin habite au 21''. Elle avait du ''Tça'' et elle en voulait avec son ''Tralala''. La rencontre avec Yvonne fut glaciale. Dame! Même tempérament de feu, même sens de la répartie, même répertoire et quelques années de différence; il ne pouvait en être autrement.
Dans les années qui suivirent je devins une des valeurs sures de la scène et de l'écran. Dans le même temps, sans pâlir, l'étoile d'Yvonne se fit plus discrète. Elle fit quelques films sans autre partenaire que moi, ne jouât plus que dans son théâtre de la Michodière. Mais en 1949 elle eut encore un coup d'éclat presque comparable aux ''Trois valses''. Ce fut la ''Valse de Paris''. 

Yvonne réincarnait une quasi héroïne nationale Hortense Schneider. Marcel Achard est cinéaste comme moi je suis pédicure. Mais la musique d'Offenbach est irrésistible, Yvonne est plus délicieuse que jamais et je dois dire que je suis assez drôle avec cet accent alsacien aussi improbable que l'accent marseillais que m'avait fait prendre Pagnol dans Marius. Ajoutez à cela les numéros de Jacques Charron et Robert Manuel..
C'est le chant du cygne de Printemps à l'approche de l'automne. Au virage des années 50 le cinéma change, Francis Lopez remplace Messager et Hahn, Martine Carol est là Brigitte Bardot arrive. Elle garde sa place dans le cœur des français, mais ils commencent à regarder ailleurs. Alors n'étant plus sur le devant de la scène elle décide d'occuper la totalité de ma vie. D'enquiquineuse elle devient une...emmerdeuse, je ne vois pas d'autre mot! Elle est volcanique, omniprésente, d'une immense mauvaise foi. Elle traine derrière elle une foule d'adorateurs, pas toujours inoffensifs (mais elle sait faire le tri). Terriblement jalouse. Elle a raison d'ailleurs. J'aime autant les femmes qu'elle aime les hommes. Notre vie commune est insupportable mais nous ne pouvons pas la vivre l'un sans l'autre...

Et me voilà ce soir dans sa chambre. L'électrophone tourne :''Bonsoir madame la lune, bonsoir...'' et soudain venant de la salle de bains je l’entends. Elle chante doucement. Une boule d'émotion me monte dans la gorge. Sa voix est un peu plus basse, le vibrato un peu plus large, les aigus moins surs, mais le charme et la magie sont intacts. Je reste immobile;
''Vous êtes encore là Pierre?''
''Je vous attendais pour vous dire bonsoir''. Je prends sa main entre les miennes et la porte à mes lèvres.
''Bonsoir mon chéri''
Je me dirige vers ma chambre.
''Pierre!''
Je me retourne.
''Pardonnez-moi ce que je vous ai dit l'autre soir. Ne m'en veuillez pas. Mais c'est de votre faute aussi. Vous me rendez folle de jalousie. Pour demain soir j'ai demandé à Désiré de nous préparer un petit dîner d'amoureux''.

C'est drôle cette manie qu'elle a d'appeler tous nos valets de chambre Désiré! Ça doit être une dernière vacherie à l'encontre de Sacha. Je souris et lui envoie un baiser du bout des doigts. Je rentre dans ma chambre, je me couche et j'éteins la lampe de chevet. Je ne vois plus qu'un rai de lumière sous la porte. Et brusquement le noir absolu. Je veux app....
Neuilly le 10 janvier 1975
Pierre est mort hier. Je l'avais fait ramener la semaine dernière de l'Hôpital américain de Neuilly. Je me sens désemparée, déboussolée. Je ne sais même pas si je suis triste. Mais ce que je sais c'est que je suis définitivement seule! Il aurait pu avoir la délicatesse de partir après moi. Il aurait du savoir après plus de 40 ans de vie commune que je ne peux pas vivre sans lui. 
Elle ne lui survivra que deux ans. Elle meurt le 18 janvier 1977 à l'âge de 82 ans. Et l'air de Paris perdit un peu de son parfum.

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