Et avant tout ça...

Octobre 49 - le Tchad - Moussoro village et poste militaire à 400 kms au nord de Fort-Lamy qui ne s'appelait pas encore N'Djamena! Le village sur une légère colline dominait le Bahr el-Ghazal "la rivière de la Gazelle". Un de mes premier souvenir visuel.

Mon père jeune lieutenant était chef de poste et commandait une garnison, une compagnie de méharis.Dans ce village de quelques centaines d'habitants il y avait dix français.Un greffier, représentant de l'Administration, sa femme et leur fils, un docteur, parfois un peu vétérinaire, et leurs deux fils, mon père ma mère et moi! Les enfants avaient entre 5 et 8 ans, la moyenne d’âge des parents était de +/- 30 ans.

Je n'ai plus que quelques souvenirs de ce qui devait ressembler au bonheur! Une vie de petit prince, sans contraintes, les grands espaces, la liberté, pas d'école.

A mon retour en France , je ne savais ni lire ni écrire!! Mais j'avais participé à des chasses de nuit sur l'impériale d'un camion, bivouaqué dans le reg autour d'un feu où grillait un méchoui, j'avais une biche naine apprivoisée ''biquette jolie'', à la tombée du jour, sur la terrasse où mes parents prenaient l'apéritif, j'avais entendu les cris des animaux venant- boire à la rivière à 2/3 kms de là, ''tu entends le lion'' me disait mon père et le rire des hyènes chassant la nuit!!

Mais de cette époque me restent surtout, plus que les souvenirs d’enfance, une odeur et une émotion.

Un jour, longtemps après cette époque, l'odeur d'une pomme de terre fraîchement coupée m'a sauté aux narines! cela me fit l'effet d'une madeleine sur Proust. Je me concentrais et allais chercher au fin fond de ma mémoire d'où cela pouvait venir! Cela tournait à l'obsession. Il a fallu renouveler plusieurs fois l'opération de la pomme de terre coupée pour qu'un jour le souvenir explose littéralement dans mon conscient. Notre maison en poto poto, un lit sous une moustiquaire, deux enfants de 5/6 ans couchés tête bêche et l'odeur du pied de mon copain fraîche, légèrement musquée, très sensuelle si j'avais connu à l'époque la signification de ce mot! Il avait suffi d'une fois pour que cette odeur se grave et se cache pour plus de 20 ans quelque part dans mon cerveau! Comment avait elle su qu'elle serait importante pour moi et que j'aurais besoin de la reconnaître! Je n'ai plus jamais retrouvé cette odeur et le substitut de la pomme de terre s'est rapidement émoussé! Restent juste ma, peut être, première sensation et probablement l'origine d'un fantasme!

Nous sommes en Octobre-novembre 49! Noël approche. Les parents envoient les commandes de cadeaux pour les 4 gamins. Les semaines passent, les camions de ravitaillement arrivent sans les cadeaux! Une semaine avant Noël toujours rien! Message d'urgence par TSF à Fort-Lamy: "Il y a ici 4 enfants qui ne comprendraient pas que le Père Noël les oublie! faites quelque chose!" Par précaution, au cas où, mes parents m'offriront un âne qu'on appellera Staline! 

Mais le message a du être reçu car le 25 décembre vers 8h nos parents nous rassemblent. Un bruit dans le ciel, un petit avion survole le village. Un parachute s'ouvre. Nos cadeaux descendent du ciel! C'est peut-être pour ça que j'ai cru un peu plus longtemps que les autres au Père Noël! Et même encore aujourd'hui. Parfois...

Quelques mois plus tard je devais rentrer en France! Je prenais l'avion pour Paris confié à l'équipage dans un DC3 mi passager, mi fret. Fort-Lamy, Bidon 5 (poste d'essence au milieu du désert algérien), Alger, Marseille, Paris le Bourget! J'avais le sentiment d'être chassé du Paradis! Je quittai mes parents pour la première fois et une toute nouvelle petite sœur! Première blessure!

On ne se remet jamais de son enfance...