samedi 17 décembre 2016

Le tyrosémiophile

In illo tempore, les fenêtres de ma chambre ouvraient sur ce qui n'était alors que le chantier de Beaubourg, Le Marais n'était pas encore ce qu'il allait devenir. Mais en 77 le Village ouvrait rue du Plâtre . C'était le premier bar gay avec baies vitrées donnant sur la rue! En 79 Gai Pied sortait ses premiers numéros!
Ce devait être une nuit de printemps! J'avais du écouter la Ligne Ouverte de Gonzague Saint Bris sur Europe 1. Mais l'urgente nécessité de rattraper un temps trop perdu m'avait fait me relever comme souvent.
C'était comme un besoin imminent de sexe bien sûr, mais surtout de contact, de peau. J'avais envie de peau! J'étais en manque de chaleur, de douceur de peau. On ne disait pas encore addiction mais ça y ressemblait beaucoup. Et à trente ans j'avais le sentiment de n'avoir ni assez donné ni assez reçu!
Mes quêtes nocturnes me conduisaient sur l'île de la Cité, quai de Corse et square Jean XXIII, et sur l'île Saint Louis du côté du square Sully. Ce soir là c'était square Sully. A cette époque les grilles du parc restaient ouvertes toute la nuit. Il était tard et il n'y avait personne. J'allais au bout du petit parc fumer une cigarette accoudé au parapet en pierre comme à la proue d'un navire, Juste le bruit du vent puis d'un pas sur les gravillons, Je me retourne. Un type d'une trentaine d'années, pas très grand, costaud, moustachu et vêtu de cuir de la casquette aux bottes, Un Kake petit modèle! Un grand sourire.
Bonsoir.
Un léger accent du Sud Ouest.
Je sais pas vous, mais moi un sourire et un accent ça me rassure!!
Bonsoir
Ca va?
Ca va!
Tu fais quoi là?
J'essaye l'humour bas de gamme!
J'attends l'autobus.
Sourire contraint.
Tu risques d'attendre longtemps. J'ai une moto, si tu veux on peut aller chez moi.
C'est gentil, mais non.
Chez toi?
Je sais pas.
Ici?
Ca non!
Alors tu fais quoi ici?
C'est pas trop mon truc.
Quoi?
Tout ça là. Le cuir, les bracelets cloutés, les cockrings. C'est pas mon truc!!
Le sourire s'élargit. Les yeux aussi s'amusent.
Tu sais le cuir c'est pas forcément hard. J'ai un ceinturon mais pas de fouet.
Il pose sa main sur mon épaule à la base de mon cou. Je rallume une cigarette.
Je sais, mais je connais pas trop.
Alors?
Il est tard et je ne veux pas rentrer seul.
Ok mais je ne te garantis rien!
Chez toi?
Oui!
Dix minutes de moto plus tard nous sommes chez moi.
Une heure après, allongés sur le dos, on fume une cigarette, Cette heure a été suffisamment agréable pour qu'il accepte de rester dormir ici. Alors on attaque les petites confidences, Tu fais quoi comme job? tu vis où? Tu vis seul?Ah OK! Ça n'a pas été trop dur? Moi aussi j'ai connu ça l'année dernière!! Le tout venant quoi!!
Et puis je lui demande:
T'as des hobbies?
Et mon Tom of Finland de poche qui me filait un chouia de pétoche :
Oui! Je suis le secrétaire de l'association des tyrosémiophiles!
Je tourne la tête brusquement. La cendre de ma cigarette tombe dans mon verre de whisky.
PS. Pour ceux qui n’auront pas le courage d’aller consulter leur dictionnaire, un tyrosémiophile est un collectionneur de couvercles de boites de camembert…
Comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences... Il faut laisser leur chance aux rencontres...

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