Certains soirs elle redevenait tout d’un coup avec lui d’une gentillesse
dont elle l’avertissait durement qu’il devait profiter tout de suite, sous
peine de ne pas la voir se renouveler avant des années ; il fallait
rentrer immédiatement chez elle « faire catleya » et ce désir qu’elle
prétendait avoir de lui était si soudain, si inexplicable, si impérieux, les
caresses qu’elle lui prodiguait ensuite si démonstratives et si insolites, que
cette tendresse brutale et sans vraisemblance faisait autant de chagrin à Swann
qu’un mensonge et qu’une méchanceté. Un soir qu’il était ainsi, sur l’ordre
qu’elle lui en avait donné, rentré avec elle, et qu’elle entremêlait ses
baisers de paroles passionnées qui contrastaient avec sa sécheresse ordinaire,
il crut tout d’un coup entendre du bruit ; il se leva, chercha partout, ne
trouva personne, mais n’eut pas le courage de reprendre sa place auprès d’elle
qui alors, au comble de la rage, brisa un vase et dit à Swann : « On
ne peut jamais rien faire avec toi ! » Et il resta incertain si elle
n’avait pas caché quelqu’un dont elle avait voulu faire souffrir la jalousie ou
allumer les sens.
Quelquefois il allait dans des maisons de rendez-vous, espérant apprendre
quelque chose d’elle, sans oser la nommer cependant. « J’ai une petite qui
va vous plaire », disait l’entremetteuse. Et il restait une
heure à causer tristement avec quelque pauvre fille étonnée qu’il ne fît rien
de plus. Une toute jeune et ravissante lui dit un jour : « Ce que je
voudrais, c’est trouver un ami, alors il pourrait être sûr, je n’irais plus
jamais avec personne. » — « Vraiment, crois-tu que ce soit possible
qu’une femme soit touchée qu’on l’aime, ne vous trompe jamais ? » lui
demanda Swann anxieusement. — « Pour sûr ! ça dépend des
caractères ! » Swann ne pouvait s’empêcher de dire à ces filles les
mêmes choses qui auraient plu à la princesse des Laumes. À celle qui cherchait
un ami, il dit en souriant : « C’est gentil, tu as mis des yeux bleus
de la couleur de ta ceinture. » — « Vous aussi, vous avez des manchettes
bleues. » — « Comme nous avons une belle conversation, pour un
endroit de ce genre ! Je ne t’ennuie pas ? tu as peut-être à
faire ? » — « Non, j’ai tout mon temps. Si vous m’auriez
ennuyée, je vous l’aurais dit. Au contraire j’aime bien vous entendre
causer. » — « Je suis très flatté. N’est-ce pas que nous causons
gentiment ? » dit-il à l’entremetteuse qui venait d’entrer. —
« Mais oui, c’est justement ce que je me disais. Comme ils sont
sages ! Voilà ! on vient maintenant pour causer chez moi. Le Prince
le disait, l’autre jour, c’est bien mieux ici que chez sa femme. Il paraît que
maintenant dans le monde elles ont toutes un genre, c’est un vrai
scandale ! Je vous quitte, je suis discrète. » Et elle laissa Swann
avec la fille qui avait les yeux bleus. Mais bientôt il se leva et lui dit
adieu, elle lui était indifférente, elle ne connaissait pas Odette.
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