...Mai 1971. Nice. J'ai
fini mon service militaire en novembre dernier. J'ai pu récupérer mon poste de
pion au Lycée Masséna et je vis dans une petite chambre dans le vieux Nice. Je
cherche un job. Je suis allé à Paris il y a trois semaines où j'ai passé un
entretien pour rentrer dans une grande banque. Je viens de recevoir leur
réponse. Ils ont le plaisir de m'annoncer que ma candidature a été retenue et
que sous réserve de mon acceptation ils m'attendent le 1er septembre au siège de
la banque, boulevard des Italiens. Ca y est, j'ai un job! Et dans une banque!
C'est du solide, du sérieux! Ma mère est contente. Le soir dans mon lit je me
refais comme d'hab le film de la journée. Je me projette dans mon futur
d'employé de banque! Et soudain le doute. J'ai 25 ans, j'ai obtenu
laborieusement une licence en droit, j'ai un peu glandouillé, je me suis laissé
vivre, je n'ai pas fait grand chose de sérieux, ni même d'intelligent. Je suis
gentil, bien élevé, un peu velléitaire, un peu paresseux, connement de droite
(j'avais lu Rimbaud mais je n'y avais rien compris), coincé, lisse et limpide à
l'extérieur, terriblement anxieux et mal à l'aise avec tout ce qui pouvait
toucher aux rapports humains, aux sentiments, au sexe. Je me sais homosexuel et
ça me terrifie. Le couvercle est en partie retombé sur la marmite de mai 68. On
parle encore de malade, d'inverti, de pédéraste. Les stéréotypes sont Jean
Cocteau, Jean Marais, Charles Trenet, Roger Peyrefitte; pour Luis Mariano on
doute!! Jean Louis Bory et Yves Navarre commencent à changer l'image...
Bref dans mon lit et dans ma tête ça gamberge. La
perspective de me retrouver à 40 ans sous chef d'agence à Charleville-Mézières
ou Brive la Gaillarde ne me semble pas être le meilleur épanouissement pour ce
qui bouillonne en moi. Je suis né à Saïgon, j'ai vécu une bonne partie (de
rêve) de mon enfance et de mon adolescence au Tchad, au Sénégal, au Mali, au
Maroc. Pourquoi ne pas essayer d'y retourner. Le lendemain je vais à la poste
et je relève l'adresse d'une dizaine de sociétés travaillant en Afrique ou en
Extême-Orient. Heureux temps du plein-emploi, deux réponses arrivent
rapidement. Une provenant d'une société commerciale travaillant sur l'Afrique
occidentale, l'autre d'une société de plantation d'hévéas au Vietnam. La
première me propose le rendez vous le plus proche! Mi juillet c'est plié! Ce
sera l'Afrique! Et l'installation des premiers supermarchés!
Une petite lettre pour dire ''non merci'' à ma
banque. Et tout change! Je coupe le cordon ombilical d'avec ma mère, je mets
fin à une relation stérile, trouble et morbide avec M… Malgré la trouille, je
prends ma première décision d'adulte.
Le 15 octobre je m'envole d'Orly pour Libreville.
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