vendredi 23 novembre 2018

Les poisons de la couronne - 2ème partie - ch 2 Jeanne comtesse de Poitiers



II
JEANNE, COMTESSE DE POITIERS 
 
  Le grand char de voyage, tout sculpté, peint et doré, glissait entre les arbres. Il était si long qu’il fallait parfois s’y prendre en deux temps pour lui faire franchir les tournants, et les hommes d’escorte mettaient pied à terre afin de le pousser dans les raidillons. Bien que l’énorme caisse de chêne fût posée à même les essieux, on ne sentait pas trop à l’intérieur les cahots du chemin, tant il y avait de coussins et de tapis accumulés. 
  Six femmes y étaient installées un peu comme dans une chambre, bavardant, jouant aux osselets ou aux devinettes. On entendait bruisser les basses branches contre le cuir du toit. Jeanne de Poitiers écarta le rideau peint des fleurs de lis et des trois châteaux d’or d’Artois. 
  — Où sommes-nous ? demanda-t-elle. 
  — Nous longeons l’Authie, Madame… répondit Béatrice d’Hirson. Nous venons de traverser Auxi-le-Château. Avant une heure, nous serons à Vitz, chez mon oncle Denis… Il va être bien aise de vous revoir. Et peut-être Madame Mahaut y sera-t-elle déjà, avec Monseigneur votre époux. 
  Jeanne de Poitiers regardait le paysage, les arbres encore verts, les prés où les paysans fauchaient un regain rare, sous un ciel ensoleillé. Comme il arrive souvent après les étés mouillés, le temps, en cette fin de septembre, s’était mis au beau. 
  — Madame Jeanne, je vous en prie… ne vous penchez pas ainsi à tout moment, reprit Béatrice. Madame Mahaut a recommandé que vous preniez bien garde à ne point vous montrer… lorsque nous serions en Artois. 
  Mais Jeanne ne pouvait pas se contenir. Regarder ! Elle ne faisait rien d’autre depuis huit jours qu’elle était libérée. Comme un affamé se gorge de nourriture sans croire qu’il pourra jamais se rassasier, elle reprenait par le regard possession de l’univers. Les feuilles aux arbres, les nuages légers, un clocher qui se dessinait dans le lointain, le vol d’un oiseau, l’herbe des talus, tout lui paraissait d’une exaltante splendeur. Lorsque les portes du château de Dourdan s’étaient ouvertes devant elle, et que le capitaine de la forteresse, s’inclinant fort bas, lui avait offert ses vœux de bonne route en lui exprimant combien il s’était senti honoré de l’avoir eue pour hôte, Jeanne avait été prise d’une sorte de vertige. « Me réhabituerai-je jamais à la liberté ? » se demanda-t-elle. 
  À Paris, une déception l’attendait. Sa mère avait dû partir précipitamment pour l’Artois. Mais elle lui avait laissé son char de voyage, ainsi que plusieurs dames de parage et de nombreuses servantes. Tandis que tailleurs, couturières et brodeuses se hâtaient de lui reconstituer une garde-robe, Jeanne avait profité de cet arrêt de quelques jours pour parcourir, en compagnie de Béatrice, la capitale. Elle s’y sentait comme une étrangère, venue de l’autre bout du monde, et émerveillée par tout ce qu’elle voyait. Les rues ! Elle ne se lassait pas du spectacle des rues. Les étalages de la Galerie mercière, les boutiques du quai des Orfèvres !… Elle avait envie de tout palper, de tout acheter. Encore qu’elle gardât ce maintien distant, contrôlé, qui avait toujours été le sien, ses yeux brillaient, son corps s’animait d’une joie sensuelle au toucher des brocarts, des perles, des bijoux. Et pourtant, elle ne pouvait chasser le souvenir d’être venue, en ces mêmes boutiques, avec Marguerite de Bourgogne, Blanche, les frères d’Aunay… 
  « Je m’étais assez promis, en ma prison, si jamais j’en sortais, se disait-elle, de ne plus accorder mon temps aux choses frivoles. D’ailleurs, je ne m’y complaisais pas tellement naguère ! D’où me vient cette fringale que je ne puis réprimer ? » 
  Elle observait les toilettes des femmes, notait des détails nouveaux sur les coiffes, les robes et les surcots. Elle cherchait à lire dans les yeux des hommes l’impression qu’elle produisait. Les compliments muets qu’elle recevait, la manière dont les jeunes gens tournaient la tête pour suivre son passage, pouvaient la rassurer pleinement. À sa coquetterie, elle trouvait une excuse hypocrite. « J’ai besoin de savoir si je possède encore des charmes, pour mon époux. » 
  À vrai dire, ses seize mois de détention l’avaient peu marquée. Le régime de Dourdan n’était en rien comparable à celui de Château-Gaillard. Jeanne y disposait d’un logis décent, d’une servante ; elle était autorisée à lire, à broder, et même à se promener dans le verger du château. Elle s’était ennuyée, intolérablement, plus qu’elle n’avait souffert. Sous de fausses nattes roulées autour des oreilles, son cou mince soutenait toujours avec la même grâce sa tête petite, aux pommettes hautes, aux yeux dorés et allongés vers les tempes, ces yeux qui faisaient songer, comme sa démarche, comme toute sa personne, aux blonds lévriers de Barbarie. 
  Jeanne ressemblait bien peu à sa mère, sinon par la robustesse de la santé, et tenait plutôt, pour l’apparence, du côté du feu comte palatin qui avait été un seigneur plein d’élégance. Maintenant qu’elle approchait du but de son voyage, Jeanne sentait croître son impatience ; ces dernières heures lui semblaient plus longues que tous les mois écoulés. Les chevaux n’avaient-ils pas diminué leur train ? Ne pouvait-on pas presser les palefreniers ? 
  — Ah ! À moi aussi, Madame, il tarde d’être à la halte, mais non pour les mêmes motifs que vous, disait une des dames de parage, à l’autre bout du char. 
  Cette personne, la dame de Beaumont, était enceinte de six mois. La route commençait à lui être pénible ; parfois, elle abaissait les yeux vers son ventre en poussant un si gros soupir que les autres femmes ne pouvaient s’empêcher d’en rire. Jeanne de Poitiers dit à mi-voix à Béatrice : 
  — Es-tu bien sûre que mon époux n’a pas pris d’autre attachement pendant tout ce temps ? Ne m’as-tu pas menti ? 
  — Mais non, Madame, je vous l’assure… Et d’ailleurs, Monseigneur de Poitiers aurait-il tourné les yeux vers d’autres femmes qu’il ne pourrait plus y penser maintenant… après avoir bu ce philtre qui va vous le rendre tout entier. Voyez ; c’est lui qui a demandé au roi votre retour… 
  « Et même s’il a une maîtresse, qu’importe, je m’en accommoderai. Un homme, même partagé, vaut mieux que la prison », pensait Jeanne. 
  De nouveau, elle écarta le rideau comme si cela devait activer l’allure. 
  — De grâce, Madame, dit Béatrice, ne vous montrez point tant… On ne nous aime guère en ce moment par ici. 
  — Pourtant les gens semblent bien affables. Ces manants qui nous saluent n’ont-ils pas une mine avenante ? répondit Jeanne. 
  Elle laissa retomber le rideau. Elle ne vit pas qu’aussitôt le char passé, trois paysans, qui venaient de la saluer bien bas, rentraient en courant dans le sous-bois pour y détacher des chevaux et partir au galop. 
  Un moment après, le char pénétra dans la cour du manoir de Vitz ; l’impatience de la comtesse de Poitiers eut à subir là une nouvelle épreuve. Denis d’Hirson, en l’accueillant, lui apprit que ni la comtesse d’Artois ni le comte de Poitiers n’étaient venus, et qu’ils l’attendaient au château d’Hesdin, à dix lieues plus au nord. Jeanne pâlit. 
  — Que signifie ceci ? demanda-t-elle en aparté à Béatrice. Ne dirait-on pas une dérobade pour ne point me voir ? 
  Et une brusque angoisse lui vint. Tout ce voyage, et la pinte de sang tirée de son bras, le philtre, les civilités du gardien de Dourdan, n’étaient-ils pas les éléments d’une comédie montée où Béatrice jouait la mauvaise larronne ? Jeanne, après tout, n’avait aucune preuve que son mari l’eût vraiment réclamée. N’était-on pas en train simplement de la conduire d’une prison dans une autre, tout en entourant ce transfert, pour de mystérieuses raisons, des apparences de la liberté ? 
  À moins, à moins… et Jeanne frémissait d’envisager le pire… qu’on n’eût pris la précaution de la montrer, à Paris, libre et graciée, pour ensuite la faire impunément disparaître. Béatrice ne lui avait pas caché que Marguerite était morte dans des conditions fort suspectes. Jeanne se demandait si elle n’allait pas subir un sort semblable. Elle apprécia peu le repas que Denis d’Hirson lui offrit. L’état de bonheur qu’elle connaissait depuis huit jours avait fait place brusquement à une atroce anxiété, et elle cherchait à lire son destin sur les visages qui l’entouraient. Béatrice, la voix traînante et toujours vaguement ironique, était impénétrable. Son oncle le trésorier, lui, parlait à peine, répondait de travers aux questions et montrait tous les signes de la préoccupation. 
  Il y avait là deux seigneurs, les sires de Licques et de Nédonchel, qui avaient été présentés à Jeanne comme ses escorteurs jusqu’à Hesdin. Elle leur trouvait la mine peu avenante. N’étaient-ils pas chargés d’une sinistre besogne à quelque tournant de route ? Nul, s’adressant à Jeanne, ne faisait allusion à sa détention ; tout le monde affectait d’ignorer qu’elle eût jamais été en prison, et cela même ne la rassurait guère. Les conversations, auxquelles elle ne comprenait rien, roulaient uniquement sur la situation en Artois, sur les coutumes, sur l’entrevue de Compiègne proposée par les envoyés du roi, sur les troubles. 
  — N’avez-vous point remarqué, Madame, d’agitation sur votre chemin, ni de rassemblement d’hommes en armes ? demanda Denis d’Hirson à Jeanne. 
  — Je n’ai rien vu de tel, messire Denis, répondit-elle, et les campagnes m’ont paru fort calmes.  
  — On m’a pourtant signalé des mouvements ; deux de nos prévôts ont été attaqués ce matin. 
  Jeanne inclinait de plus en plus à croire que toutes ces paroles n’avaient d’autre objet que d’endormir sa méfiance. Il lui semblait qu’un filet invisible se resserrait. Elle se sentait seule, abominablement seule… 
  La dame enceinte mangeait avec une extraordinaire gloutonnerie et continuait à pousser de gros soupirs en regardant son ventre. Le sire de Nédonchel, homme aux longues dents, au visage jaune et aux épaules voûtées, disait : 
  — La comtesse Mahaut, je vous assure, messire Denis, sera forcée de céder. Usez de votre empire sur elle. Qu’elle cède, au moins en partie. Qu’elle renonce à votre frère, si dur qu’il nous soit de vous le dire, ou qu’elle feigne d’y renoncer, car jamais les alliés ne voudront traiter tant qu’il sera chancelier. Le sire de Licques et moi-même risquons gros à demeurer fidèles à la comtesse, tout en faisant mine d’agir avec les autres barons. Plus elle attend, plus son neveu Robert gagne sur les esprits. 
  À ce moment, un sergent, nu-tête et hors d’haleine, pénétra dans la salle du repas. 
  — Qu’y a-t-il, Cornillot ? demanda Denis d’Hirson.     
  Le sergent Cornillot chuchota quelques phrases hachées à l’oreille de Denis d’Hirson. Celui-ci devint blême, rabattit la nappe qui lui couvrait les genoux, sauta de son banc. 
  — Un moment, mes seigneurs, il me faut aller voir…   
  Et il s’enfuit à toutes jambes par une des petites portes de la salle, suivi de Cornillot qui lui collait aux chausses. Leurs pas précipités décrurent dans un escalier. L’instant d’après, alors que les convives n’étaient pas encore revenus de leur surprise, une grande clameur monta de la cour. On eût dit qu’une armée entière venait d’y entrer au galop. Un chien, qui avait dû recevoir un coup de sabot, hurlait à la mort. Licques et Nédonchel coururent aux fenêtres, tandis que les femmes d’escorte de la comtesse de Poitiers se tassaient dans un coin de la pièce comme un troupeau de pintades. Auprès de Jeanne, seules étaient restées Béatrice et la dame enceinte dont le visage avait pris une mauvaise couleur. Béatrice joignit les mains ; elle tremblait. Jeanne comprit qu’elle n’était certainement pas de connivence avec les assaillants. Mais cela ne rendait pas la situation plus gaie et, de toute manière, le temps manquait pour penser. 
  La porte vola plutôt qu’elle ne s’ouvrit, et une vingtaine de barons, conduit par Souastre et Caumont, entrèrent l’épée au poing, en hurlant : 
  — Où est le traître, où est le traître ? Où se cache-t-il ? 
  Ils s’arrêtèrent, un peu hésitants devant le spectacle qui s’offrait à eux. Ils avaient plusieurs motifs de surprise. D’abord, l’absence de Denis d’Hirson, qu’ils étaient sûrs de trouver là et qui venait de disparaître comme derrière le voile d’un enchanteur. Et puis ce groupe de femmes jacassantes ou pâmées, se serrant les unes contre les autres et qui se voyaient déjà promises à un viol général. Enfin et surtout la présence de Licques et de Nédonchel. L’avant-veille encore, à Saint-Pol, ces deux chevaliers étaient du nombre des conjurés, et voici qu’on les découvrait attablés dans une maison du camp adverse. 
  Les transfuges furent copieusement insultés ; on leur demanda combien ils touchaient pour leur parjure, s’ils s’étaient vendus aux Hirson pour trente deniers ; et Souastre appliqua son gantelet de fer sur la longue face jaune de Nédonchel, qui se mit à saigner de la bouche. Licques s’efforçait de s’expliquer, de se justifier. 
  — Nous étions venus plaider votre cause, nous voulions éviter des morts et des ravages inutiles. Nous étions près d’obtenir par paroles mieux que vous par vos épées. 
  On le contraignit à se taire en l’accablant d’injures. Dans la cour, les autres alliés continuaient de mener tapage. Ils n’étaient pas moins d’une centaine. 
  — Ne dites pas mon nom, souffla Béatrice à la comtesse de Poitiers, car c’est à ma famille qu’ils en ont. La dame enceinte eut une crise de nerfs et s’écroula sur son banc. 
  — Où est la comtesse Mahaut ? criaient les barons. Il faudra bien qu’elle nous entende ! Nous savons qu’elle se trouve ici, nous avons suivi son char. 
  Les choses commençaient à s’éclaircir pour Jeanne Ce n’était pas à sa vie, spécialement, que les braillards en voulaient. Son premier mouvement de frayeur passé, la colère lui vint à la gorge, le sang des d’Artois se réveillait en elle. 
  — Je suis la comtesse de Poitiers, s’écria-t-elle, et le char que vous avez vu me transportait. J’apprécie peu qu’on pénètre avec tant de fracas dans le lieu où je suis. 
  Comme les insurgés ignoraient qu’elle fût sortie de prison, cette annonce imprévue les rendit un moment silencieux. Ils allaient décidément de surprise en surprise. 
  — Voulez-vous me dire vos noms, reprit Jeanne, car j’ai coutume de ne parler qu’aux gens qui me sont nommés, et j’ai peine à savoir qui vous êtes sous vos harnois de guerre. 
  — Je suis le sire de Souastre, répondit le meneur aux gros sourcils roux, et celui-ci est mon compagnon Caumont Et voici Monseigneur Jean de Fiennes, et messire de Saint-Venant, et messire de Longvillers ; nous cherchons la comtesse Mahaut. 
  — Comment ? coupa Jeanne. Je n’entends que noms de gentilshommes ! Je ne l’aurais point cru à votre manière d’en user avec des dames qu’il vous conviendrait de protéger et non d’assaillir. Voyez madame de Beaumont qui est grosse presque à mettre bas, et que vous venez de faire pâmer. N’en avez-vous point honte ? 
  Un flottement se dessina parmi les alliés. Jeanne était belle, et sa manière de tenir tête leur en imposait. Et puis, elle était la belle-sœur du roi et paraissait revenue en grâce. Jean de Fiennes, le mieux né et le plus important de ces seigneurs, se souvenait d’avoir vu Jeanne, naguère, à la cour. Il l’assura qu’ils ne lui voulaient aucun mal, leur expédition ne visait que Denis d’Hirson, parce qu’il avait juré qu’il reniait son frère et ne tenait pas son serment. 
  En vérité, ils avaient espéré prendre Mahaut dans un piège et la contraindre par la force. Pour se venger de leur déconvenue, ils mirent la maison au pillage. Pendant une heure, le manoir de Vitz résonna du fracas des portes claquées, de l’éventrement des meubles et de bris des vaisselles. On arrachait des murs tapisseries et tentures, on raflait l’argenterie sur les crédences. Puis, un peu calmés mais toujours menaçants, les insurgés firent remonter Jeanne et ses femmes dans le grand char doré, Souastre et Caumont prirent le commandement de l’escorte, et le char, environné d’un bruissement d’acier, s’engagea sur la route d’Hesdin. 
  Les alliés, de cette façon, étaient sûrs maintenant de parvenir jusqu’à la comtesse d’Artois. À la sortie du bourg d’Ivergny, distant d’environ une lieue, un arrêt se produisit. Quelques alliés, lancés à la recherche de Denis d’Hirson, venaient de le rattraper au moment où il essayait de franchir l’Authie en traversant les marécages. Il apparut crotté, battu, saignant, enchaîné, et titubant entre deux barons à cheval. 
  — Que vont-ils lui faire ? Que vont-ils lui faire ? murmura Béatrice. Dans quel état l’ont-ils mis ! 
  Et elle commença de prononcer à voix basse de mystérieuses prières qui n’avaient de sens ni en latin ni en français. Après quelques palabres, les barons décidèrent de le garder comme otage, en l’enfermant dans un château voisin. Mais leur fureur meurtrière avait besoin d’une victime. Le sergent Cornillot avait été pris en même temps que Denis. Or ce même Cornillot, pour son malheur, avait participé quelque temps auparavant à l’arrestation de Souastre et de Caumont. Ceux-ci le reconnurent et les alliés exigèrent qu’on lui réglât son compte sur-le-champ. Mais il fallait que sa mort servît d’exemple et donnât à réfléchir à tous les sergents de Mahaut. Certains préconisaient la pendaison, d’autres voulaient que Cornillot fût roué, d’autres encore qu’il fût enterré vif. Dans une grande émulation de cruauté, on discutait devant lui de la manière dont on allait le tuer, tandis qu’à genoux, le visage en sueur, le sergent braillait son innocence et suppliait qu’on l’épargnât. 
  Souastre trouva une solution qui mit tout le monde d’accord, sauf le condamné. On alla chercher une échelle. On hissa Cornillot dans un arbre où on le hala par les aisselles, puis, quand il eut gigoté un bon moment pour la joie des barons, on coupa la corde et on le laissa tomber sur le sol. Le malheureux, les jambes brisées, hurla tout le temps qu’on creusa sa tombe. On l’enterra debout, sa tête seule émergeant où roulaient des yeux fous. 
  Le char de la comtesse de Poitiers attendait toujours au milieu du chemin, et les dames d’escorte se bouchaient les oreilles pour ne pas entendre les cris du supplicié. La comtesse de Poitiers se sentait défaillir mais n’osait intervenir, de peur que la colère des alliés ne se retournât contre elle. Enfin, Souastre tendit sa grande épée à l’un de ses valets d’armes. La lueur de la lame brilla au ras du sol et la tête du sergent Cornillot roula sur l’herbe, tandis qu’un flot de sang, jailli comme d’une rouge fontaine, arrosait à l’entour la terre meuble. Au moment où le char se remit en route, la dame enceinte fut prise de douleurs ; elle commença de hurler, en se renversant en arrière. On sut aussitôt qu’elle n’irait pas au terme de sa grossesse. 

Demain 2ème partie - Ch. 3 Le second couple du royaume. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire