C'étaient
deux jeunes hommes. L'un s'appelait Kadô Vraz,
l'autre Fulupik Ann
Dû. Tous deux étaient de la même
paroisse, s'étaient assis,au
catéchisme, sur le même banc,
avaient fait ensemble leurs premières
Pâques, et, depuis
lors, ils étaient restés les meilleurs amis du
monde.
Lorsqu'aux pardons on voyait paraître l'un d'eux, les
jeunes
filles se poussaient du coude et chuchotaient en
riant :
—
Parions
que l'autre n'est pas loin !
Il
eût fallu marcher longtemps avant de trouver une
amitié plus
parfaite que la leur. Ils s'étaient juré que le
premier d'entre eux
qui se marierait prendrait l'autre
pour « garçon de noce ».
—
Damné
sois-je, avait dit chacun d'eux, si je ne suis pas
de parole !
Le
temps vint qu'ils tombèrent amoureux, et le malheur
voulut que ce
fût de la même héritière. Leur amitié
toutefois n'en souffrit
point dans les débuts. Ils firent
leur cour loyalement à la belle
Marguerite Omnès, ne
médisant jamais l'un de l'autre, fréquentant
même de
compagnie chez Omnès le vieux et se portant des santés
réciproques avec les pleines écuellées de cidre que
Margaïdik
leuf versait.
—
Choisis
de nous celui qui te plaira le plus, disaient-ils à la
jeune fille.
Tu feras un heureux, sans faire un mauvais
jaloux.
Marguerite
ne laissait pas que d'être fort embarrassée,
en dépit de toutes
ces belles assurances. Elle dut
pourtant se décider. Un jour que
Kadô Vraz vint seul, elle
le fit asseoir à la table de la cuisine,
et, s'installant en
face de lui, elle lui dit :
—
Kadô,
j'ai pour vous une grande estime et une franche
amitié. Vous serez
toujours le bienvenu dans ma maison ;
mais, ne vous en déplaise,
nous ne serons jamais mari et
femme.
—
Ah
! répondit-il un peu interloqué, c'est donc de Fulupik
que vous
avez fait choix... Je ne vous en veux pas, ni à lui
non plus !
Il
tâchait de faire bonne contenance, s'efforçait de
dissimuler son
émotion, mais le coup était inattendu et le
frappait en plein cœur.
Après quelques paroles banales, il
partit, en vacillant comme un
homme ivre, bien qu'il eût à
peine porté les lèvres au verre que
Marguerite lui avait
rempli. Quand il fut sorti de la cour des Omnès
et qu'il se
trouva seul avec son infortune dans le chemin creux qui
menait à sa demeure, il se mit à sangloter comme un
enfant à qui
l'on a fait mal. Il se dit : « A quoi bon vivre,
désormais ? » Et
il résolut de mourir. Auparavant
toutefois, il voulut serrer la
main de Fulupik Ann Dû et
être le premier à lui annoncer son
bonheur. Au lieu de
continuer vers Kerbérennès, qui était sa
maison familiale,
il prit donc un sentier à gauche pour aller à
Kervas où
habitait Fulupik. La vieille Ann Dû épluchait des pommes
de terre pour le repas du soir. Elle fut étonnée de la mine
si
pâle, si douloureuse de Kadô Vraz.
—
Qu'as-tu
? lui demanda-t-elle. Tu es blanc comme un
linge.
—
C'est
que vous me voyez à la brume de nuit, gentille
marraine. Je suis
venu m'informer de ce que Fulupik
compte faire demain dimanche.
—
En
vérité, je ne saurais te le dire. Imagine toi que
Fulupik tient à
cette heure un nouveau né sur les fonts
baptismaux ! Oui. C'est
encore cette fille Nanès qui est
accouchée d'un enfant bâtard. On
est allé frapper à trois
portes pour trouver un parrain. En
désespoir de cause, on
s'est adressé à Fulupik, qui a accepté.
J'étais d'avis qu'il
refusât comme les trois autres, mais c'est un
entêté qui
ne veut rien entendre. J'ai eu beau lui objecter
qu'auprès
des mauvaises langues il risquait de passer pour le père
de
l'enfant, il s'est tout de même habillé et il est parti au
bourg. Il jurait même en partant qu'il ferait sonner les
cloches.
La
vieille n'avait pas fini de parler qu'une sonnerie joyeuse
retentissait au loin.
—
Quand
je vous le disais !... s'écria Mon Ann Dû, en
prêtant l'oreille .
Elle
reprit :
—
Mon
fils est un écervelé. Tu devrais le morigéner, Kadô.
Tu es plus
sérieux que lui, toi. Je tremble souvent que son
étourderie ne lui
porte malheur.
—
Soyez
tranquille, répondit Kadô Vraz ; je vous affirme,
au contraire,
qu'il a dû naître sous une bonne étoile. Et,
souhaitant le
bonsoir, il tourna les talons. Sur le seuil, il
fit halte, un
instant.
—
Bonne
marraine, dit-il, priez donc Fulupik de me venir
joindre demain, dès
l'aube, au carrefour de la Lande-
Haute.
La
Lande-Haute est un dos de colline, semé d'herbe
maigre et planté de
quelques ajoncs, où paissent des
vaches de pauvres. Deux chemins,deux sentiers plutôt s'y
croisent au pied d'un calvaire. C'est à ce
calvaire que se
rendit Kadô Vraz. Il avait d'abord été chez lui
prendre un
licol, sous prétexte de ramener des champs la jument
grise. Il attacha ce licol à l'une des branches de la croix
et se
pendit.
Suite et fin demain
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