J’ai
rencontré Georges Saval dans le train qui nous conduisait de
Londres
à Cambridge, l’automne 1937. Nous nous connaissions de
vue
sans nous être jamais parlé : même âge à Janson-de-Sailly,
mais
des classes différentes. Je me souviens d’un garçon assez
lymphatique
qui jouait mal au football et nageait bien. Vers seize
ans,
après des vacances en Angleterre, il revint transformé,
étoffé,
ayant perdu ses joues rondes d’adolescent et gagné des
muscles.
Il boxait déjà et le prévôt le considérait comme un de
ses
espoirs pour les championnats universitaires. C’est tout ce
que
je savais de lui et il ne devait pas en savoir beaucoup plus de
moi.
Le hasard nous réunissait cet automne-là et, après nous
être
évités sur le bateau, nous nous parlâmes dans le vieux
compartiment
tendu d’un hideux velours rouge. Deux Anglais
caricaturaux
étaient montés avec nous, aimables d’abord, puis
silencieux
et l’air buté quand ils comprirent que nous étions
français.
Saval me plut. On devinait vite en lui une franchise
désabusée
qui le faisait paraître plus mûr que son âge. À part
une
légère fente de l’arcade gauche — un trait blanc que
recouvrait
imparfaitement le sourcil noir et arqué —, la boxe ne
l’avait
pas marqué. Ce fut notre premier sujet de conversation.
Il
m’avoua tout de suite détester les coups. Il aimait la rigueur
de
l’entraînement, les esquives, les feintes, une certaine façon
de
jauger un adversaire et de le contrer. En fait, c’était un
garçon
dépourvu de toute agressivité au physique comme au
moral,
calme, intelligent et, bien plus encore, humain,
respectable
et respectueux, un de ces êtres dont on se dit : «
Où
est le défaut ? Les apparences sont trop en sa faveur. Il y a
quelque
chose qui n’apparaîtra jamais s’il montre assez de
volonté,
mais quelque chose est là ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire