Personne
ne me connaissait à Buckton. Clem avait choisi la ville à cause de cela ;
et d’ailleurs, même si je m’étais dégonflé, il ne me restait pas assez
d’essence pour continuer plus haut vers le Nord. À peine cinq litres. Avec mon
dollar, la lettre de Clem, c’est tout ce que je possédais. Ma valise, n’en
parlons pas. Pour ce qu’elle contenait. J’oublie : j’avais aussi dans le
coffre de la voiture le petit revolver du gosse, un malheureux 6,35 bon marché ;
il était encore dans sa poche quand le shérif était venu nous dire d’emporter
le corps chez nous pour le faire enterrer. Je dois dire que je comptais sur la
lettre de Clem plus que sur tout le reste. Cela devait marcher, il fallait que
cela marche. Je regardais mes mains sur le volant, mes doigts, mes ongles.
Vraiment personne ne pouvait trouver à y redire. Aucun risque de ce côté.
Peut-être allais-je m’en sortir.
Mon
frère Tom avait connu Clem à l’Université. Clem ne se comportait pas avec lui
comme les autres étudiants. Il lui parlait volontiers ; ils buvaient
ensemble, sortaient ensemble dans la Caddy de Clem. C’est à cause de Clem qu’on
tolérait Tom. Quand il partit remplacer son père à la tête de la fabrique, Tom
dut songer à s’en aller aussi. Il revint avec nous. Il avait beaucoup appris et
n’eut pas de mal à être nommé instituteur de la nouvelle école. Et puis,
l’histoire du gosse flanquait tout par terre. Moi, j’avais assez d’hypocrisie
pour ne rien dire, mais pas le gosse. Il n’y voyait aucun mal. Le père et le
frère de la fille s’étaient chargés de lui.