«
Chouchoune! Enlève tes ''semises'' et tes ''sauchettes'' de la
fenêtre. Fais les ''chesser'' ailleurs! Et d'abord c'est
interdit!''.
La
voix de baryton martin au léger accent teuton résonne dans
l'étroitesse de la rue des Blancs Manteaux.
''S'il
continue à gueuler comme ça je chante pas ce soir! ''
Comment
en étais je arrivé à me faire apostropher ainsi parce que mon
appartement juste au dessus de sa boîte n'avait pas de fenêtre sur
cour pour faire sécher mon petit linge!!
Flash
back !
Quelques
années plus tôt, fin juin 1981! J'habite rue St Martin un grand
studio! Ma fenêtre donne sur la Piazza et les escalators de
Beaubourg. Je me suis installé là en 76 avec Detlef (voir Detlef1 , Detlef 2, Detlef 3, Detlef 4, Detlef 5. C'est luxueux
par rapport à la chambre où nous habitions depuis notre retour
d'Afrique, rue Princesse. Juste au dessus de chez Castel. Les
''people'' qui sortent de ces clubs privés font autant de bruit
sinon plus que n'importe quel pékin sortant d'une boite de nuit
lambda. Il y avait un habitué dans la rue Princesse. Hubert D., un
délicieux second rôle de nombreux films. Il déambulait la nuit
entre Guisarde, Princesse, Mabillon, St Michel. Il avait fait le
choix de l'alcool. Ce n'était pas un clodo; il n'avait pas besoin de
notre pièce! Il passait souvent la nuit rue Princesse. Je lui disais
bonsoir, il me répondait d'un sourire. Il parlait tout seul, on
saisissait parfois un ou deux vers d'un poème. Accoudé à la
balustrade de mon unique fenêtre, je le voyais passer. Il s'asseyait
parfois sur le rebord de la vitrine de la boutique d'affiches et de
posters juste en face de chez Castel, comme pour narguer certains de
ses anciens partenaires...Un soir je lui ai demandé :''Monsieur D.
vous ne me diriez pas un petit poème?'' Il a levé la tête , a
souri, dix secondes de silence et d'une voix un peu grasse :
''
Mais en vérité je l'attends
Avec
mon cœur avec mon âme
Et
sur le pont des Reviens-t'en
Si
jamais revient cette femme
Je
lui dirai Je suis content
Mon cœur et ma tête se vident
Tout
le ciel s'écoule par eux
Ô mes tonneaux des Danaïdes
Comment
faire pour être heureux
Comme
un petit enfant candide
Je
ne veux jamais l'oublier
Ma
colombe ma blanche rade
Ô marguerite exfoliée
Mon
île au loin ma Désirade
Ma
rose mon giroflier...''
''C'est
beau''
''Apollinaire.
La chanson du Mal-Aimé''
J'y
ai vu comme un début d'explication.
Le
lendemain j'allais à la Fnac rue de Rennes..
Notre
chambre rue Princesse était petite. Toute petite. On était obligé de manger
assis sur le lit. Pas de place pour les chaises. Elle nous était
louée, une fortune, par une vieille folle aristocratique qui se
piquait de littérature parce qu'il avait connu Maurice Sachs avant
guerre et venait de sortir un petit livre où il épinglait Roger
Peyrefitte. Il venait chercher son loyer en liquide tous les 30 du
mois. Il dévorait Detlef des yeux en minaudant. Detlef rigolait, ça
me foutait hors de moi. Mais qu'est ce qu'on a été heureux dans
cette piaule. En quelques mois j'ai claqué les économies de 4 ans
d'Afrique. Puis il a fallu bosser un peu. Un de mes copain, avocat,
avec qui j'avais fait mes études de Droit à Nice m'a pris dans son
cabinet. Ma principale activité était de courir après des
honoraires pas toujours très justifiés. Il ne me payait pas
beaucoup mais nous nourrissait royalement chez ses clients
restaurateurs. C'est lui qui m'avait trouvé ce studio rue St Martin que je devais
payer environ 250F par mois! On croit rêver!! Le passage de la Rive
Droite à la Rive Gauche nous fut fatal à Detlef et à moi. Surtout
à moi. Et on ne se sera jamais autant aimés qu'à partir de son
départ. Ceci est une autre histoire. En bref, je me retrouve seul,
je quitte mon avocat, je trouve un job et j'entame ma vie parisienne
qui m'amène en ce vendredi de fin juin 81.
Je
traine mes guêtres dans le Marais. Il doit être 21h30, la soirée
est douce et belle comme une soirée de juin à Paris peut l'être.
Il ne lui manque que d'être tendre. Le croisement des rues Vieille
du Temple et Sainte Croix de la Bretonnerie est quasiment interdit à
la circulation. Autour du ''Central'' les bars, restaurants,
boutiques de n'importe quoi ont poussé comme des champignons! Le
Central n'est pas plein. Il est tôt encore. Je m'accoude au bar. Un
demi! Mon regard glisse autour de la salle. Indifférent, forcément
indifférent. Ces raisins sont trop verts et bon pour des goujats!!
Quoique !!
Je
me plonge dans la lecture d'un magazine gay gratuit qui traine sur le
comptoir. Ma bière se réchauffe tout doucement. Une main se pose
sur mon épaule. ''Salut Renaud''. Je tourne la tête. C'est
Grégoire. Je l'ai rencontré il y a 3-4 ans à la Foire d'Alger. Il
est commercial export d'une boite de TP. On se croise de temps en
temps dans le Marais. Il a un charme incroyable, son visage respire
la joie de vivre. Fermée sa bouche sourit encore et ses yeux
rigolent même quand il parle des socialistes qui viennent d'arriver
au pouvoir. Nous nous sommes engueulés un jour à ce sujet. J'ai
compris. J'évite. Il s'installe sur le tabouret à ma droite donc.
Il commande un Perrier. Il ne boit pas, ne fume pas mais pour le
reste c'est un vrai stakhanoviste ! On dirait qu'il a peur de
manquer...Il est toujours sur un coup et quand il n'est pas dessus il
court après.
A
sa question, je réponds que je m'emmerde un peu. Les bars c'est pas
trop mon truc. Tout à l'heure j'irai faire un tour du côté de
l'ile de la Cité. On y trouve parfois des étrangers encore
sensibles au charme des quais de la Seine. Merci le cinéma ''Un
américain à Paris'', The last time I saw Paris'', ''Charade'',
''Gigi'', ''Can Can''...
''Tu
sais Renaud y a une boite qui vient d'ouvrir il y a une semaine rue
des Blancs Manteaux. C'est exactement ce qu'il te faut. Tu vas
adorer!''
''C'est
quoi comme genre?'' dis-je genre dubitatif.
''Tu
verras. Viens on y va''
On
sort, il est 22h30. On remonte la rue Sainte Croix de la Bretonnerie,
on tourne à droite rue des Archives, puis à gauche rue des Blancs
Manteaux.
''C'est
au combien?''
''Au
49 ''
''Et
elle s'appelle comment ta boite?''
''Le
Piano Zinc''
Je
ne savais pas que j'en prenais pour plus de 10 ans!
:) j'ai un ami d'enfance qui a habité Rue Vieille du Temple un petit appartement où j'ai dormi un soir où j'étais de passage à Paris, ensuite j'ai vu des préservatifs dans sa salle de bains ce qui m'a porté un coup, si j'ose dire, au moral, j'ai pensé, ce n'est plus un enfant, donc moi non plus... Maintenant il a emménagé dans le 14è avec un autre garçon et j'étais très surpris lorsqu'il m'a invité à sa crémaillère disant qu'il emménageait avec D... (prénom masculin), je croyais que ses préservatifs étaient pour des femmes ... Je suis joyeux mais un peu con parfois !!
RépondreSupprimerIl faut faire la différence entre innocence et connerie. On guérit malheureusement de la première; de la deuxième jamais.
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