Le
Piano Zinc c'est pas une boite, même pas un endroit, à peine un
bar, c'est un lieu! Trois niveaux. Un bar en rez de chaussée. Une
salle d'une dizaine de mètres de profondeur. Deux mètres de large
en partie bouffés par le bar, un vrai, en zinc. Un escalier part
tout de suite sur la droite. Sur le mur une Piaf nous offre ses yeux
noirs et sa bouche sanglante. Au retour de l'escalier Marilyn Monroe
et Jane Russell nous disent avec un clin d'oeil que les hommes
préfèrent les blondes. Je pense qu'ici les bruns moustachus doivent
avoir aussi leur chance. Un deuxième escalier conduit aussi vers les
sous-sols. Pour y arriver il faut se glisser entre les tabourets de
bar et le mur où Fred Astaire enlace Ginger Rogers dans un
tourbillon de taffetas et de plumes d'autruche. Ensuite d'autres
escaliers entraînent vers un deuxième sous-sol. On y croise Mae
West et George Chakiris dansant sur fond de buildings du West Side.
Autre bar à six, sept mètres sous la surface. L'ambiance plus
confinée, chaleureuse est propice aux confessions, à la séduction
plus qu'à la drague, on y refait son monde et demain y semble
infiniment loin... Mais tout cela serait banal et de peu d'intérêt
s'il n' y avait l'entre deux.
L'entre
deux c'est une pièce de 20m² environ. Des murs peints encore. Une
autre Marilyn blonde et vaporeuse, Mae West, Mistinguett, Gene Kelly
et Frank Sinatra en marins dans ''On the town'' et le visage
tremblant d'émotion de Judy Garland dans ''A star is born''. Un bar.
Trois spots au plafond. Un piano et des partitions en classeur, en
vrac, empilées... et une minuscule scène d'à peine 1m² surélevée
de dix centimètres. Le principe est simple et gonflé. Qui veut
chante.
Quand
j'arrive au Piano pour la première fois ce soir là ,le bar du rez
de chaussée est plein. Musique disco. Derrière le bar officient un
barman à la moustache fournie et une walkyrie blonde! Grégoire me
prend par le coude et file vers l'escalier de droite. Une voix et des
notes de piano montent du sous-sol. Je passe devant Edith Piaf,
L'escalier tourne et j'ai une vue plongeante sur la salle. Sur la
petite estrade un mec d'environ 35/40 ans chante Cabaret d’ Paris en allemand. ''C'est le
patron. Il est allemand'' me glisse Grégoire à l'oreille. La voix
est belle, forte. Il y a là une cinquantaine de personnes
serrées comme des sardines. La chanson finie ça applaudit à tout
rompre. Et lui : '' Merci, Merci! Mais si vous m'applaudissez si fort
c'est que vous n'avez pas de verre dans les mains. Je vous rappelle
que le bar est ouvert....et que les toilettes sont mo-no-places'' Il se tourne vers le pianiste, fouille
dans son classeur de partitions et attaque ''Pigalle''. ''Je me tire
j'ai un rencart'' me dit Grégoire. Je commande un demi, je paye et
je vais me mettre dans un coin de la salle où il y a une petite
tablette pour poser mon verre. Et je regarde et j'écoute. Epanoui et
heureux comme dit l'autre chanteur, celui que j'aime moins que
Bécaud!
Et
ça se succède sur la scène. Un latino un peu enveloppé ,aux yeux
de velours, aux cils longs comme des balayettes chante ''New York New
York'' avec une voix d'enfer et un beau vibrato. Un beau blond suit
avec Trenet, ''Je chante'', tout ce que j'aime. Il enchaîne avec
''le Clown'' de Gianni Esposito; on devine qu'il a pris des cours de
théatre; c'est''vécu''. Il deviendra un de mes amis. Un grand type
avec une queue de cheval attaque ''l'Air du froid'' du Roi Arthur.
Quand un chanteur dérape en remontant les Champs Elysées à la fin
de sa chanson le public scande ''Une autre, une autre, une autre …
chanteuse...''et tout le monde se marre à commencer par lui. Et ça
continue comme ça jusqu'à deux heures du matin. On sent
charnellement le plaisir et le bonheur qui baignent cet espace. La
clôture c'est le patron, J. d'après ce que j'ai entendu, qui la
fait avec ''Lili Marleen''. '' Bonsoir, merci à Daniel notre
pianiste, à demain. Ne faîtes pas de bruit en sortant. Pensez au
sommeil des voisins''. Les gens s'éparpillent entre les bars du rez
de chaussée ou sous sol. D'autres restent là autour du piano. Et
moi j'en reviens pas. Cela fait presque 4 heures que je suis là.
J'ai pas dit un mot, j'ai pas bougé sauf pour aller chercher mes
bières. Je me suis pas emmerdé une seconde. Je suis heureux! Je
rentre chez moi rue Saint Martin à 300 mètres de là le cœur
léger! Je n'irai pas sur l'Ile de la Cité ce soir!
Pendant
15 jours je serai là tous les soirs de 22heures à 2 heures du matin
au même endroit avec le même plaisir. Le patron qui surveille son
business s'approche de moi un soir.
''Salut.
Moi c'est J. Et toi?''
''Renaud''
''Ca
fait plusieurs jours que je te vois ici. Tu aimes? ''
''Beaucoup.
Je trouve ça super''
''J'ai
trouvé cette idée à New York. Une boîte qui s'appelait ''Don't
tell mama''. A mon retour à Paris j'ai voulu essayer de faire la
même chose''
''Bravo.
Ca a l'air de bien marcher''
''Oui
, pas mal mais j'ai un problème.''
''??''
''
Je manque de chanteurs! Tu aimes chanter toi?''
''Comme
tout le monde. Mais compte pas sur moi. Pas question!!''
''
Tu aimes qui comme chanteurs?''
''
Trenet et puis Trenet, Félix Leclerc, Bécaud...''
''Super''
''Pas
question''
''Tu
bois quoi?''...
Il
a mis deux jours à me convaincre.
Et
un soir je me suis retrouvé avec lui sur la scène. En duo. Trenet.
''Que reste-t-il de nos amours''.
3'35
de bonheur après j'étais chanteur au Piano Zinc. On m'avait
applaudi. Putain je l'ai fait me suis-je dit in petto.
''Tu
vois ça s'est bien passé. Qu'est-ce que tu bois?''
''Un
demi''
''Un
demi pour Renaud''
Je
venais de toucher mon premier cachet.
Pendant
plus de dix ans je n'allais pas augmenter mes tarifs.
ce bar m'aurait plu, rien que pour les dessins de stars du Hollywood que j'adore... en tous cas le PZ aura eu une belle chanteuse avec moustache n'est-ce pas ma chère Chouchoune (ou plutôt Renaud) :)
RépondreSupprimerMerci mon gentil roi... Quand c'est dit gentiment je réponds aussi à Chouchoune... ;)
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