Pour
certains c'est le goût d'une madeleine trempée dans une tasse de
thé, une image, un bruit, un son... pour moi ça a été l'odeur
d'une pomme de terre coupée. Je devais avoir une trentaine d'années.
Je venais d'éplucher quelques pommes de terre. Mes mains étaient
fraîches encore de leur humidité. Mais avant d'aller les passer
sous l'eau, une légère odeur me fit m'arrêter. Ce n'était pas
vraiment une odeur, c'était plus et mieux. Un parfum, un arôme, un
effluve si doux et si particulier qu'il me semblait qu'il ne pouvait
être perçu que par moi. Je passais la paume de ma main sous mon
nez. C'était indéniablement l'odeur d'une pomme de terre
fraîchement coupée. Mais je sentais qu'il y avait derrière quelque
chose de beaucoup plus important. Je pris un morceau de pomme de
terre et le passais sous mon nez. L'émotion fut si forte que je dus
m'asseoir. Cette émotion semblait venir de très loin et être liée
à un souvenir important. J'essayais de la suivre et de trouver ce
qu'elle venait de réveiller dans ma mémoire. Je concentrais sur
elle tous mes sens et mes neurones. Je repassais le morceau de pomme
de terre sous mes narines. La sensation était toujours là mais déjà
un peu affadie. Je cessais de renifler ce morceau de tubercule et
tentais de débarrasser mon odorat de tout ce qui pouvait parasiter
cette émotion. Je recommençais l'expérience un quart d'heure
après. Elle avait perdu pratiquement toute sa force. Et brusquement
j'eus peur de ne pas retrouver ce que tout ça avait réveillé en
moi. Je me suis allongé sur le canapé, j'ai fermé les yeux et je
me suis concentré sur ce qui me restait de la force de ma première
sensation. Et je suis remonté en arrière. A chaque étape je
balayais ma mémoire comme un phare balaye l'horizon. Tenace. Il
fallait que je trouve. Et au bout d'un très long moment... des
larmes me sont montées aux yeux.
C'était
en... , il y a longtemps! J'avais 6 ans.
Moussoro
village et poste militaire à 400 kms au nord de Fort-Lamy qui ne
s'appelait pas encore N'Djamena! Le village sur une légère colline
dominait le Bahr el-Ghazal "la rivière de la Gazelle".
Mon
père jeune lieutenant était chef de poste et commandait une
garnison, une compagnie de méharis. Dans ce village de quelques
centaines d'habitants il y avait dix français. Un greffier,
représentant l'Administration Française, sa femme et leur fils, un
docteur, parfois un peu vétérinaire, et leurs deux fils, mon père
ma mère et moi!
C'était
une vie de petit prince, sans contraintes, les grands espaces, la
liberté, pas d'école.
Je
ne savais ni lire ni écrire!! Mais je participais à des chasses de
nuit sur l'impériale d'un camion, je bivouaquais dans le reg autour
d'un feu où grillait un méchoui, j'avais un âne et une biche naine
apprivoisée. A la tombée du jour, sur la terrasse où mes parents
prenaient l'apéritif, j’entendais les cris des animaux venant
boire à la rivière à 2/3 kms de là, ''Tu entends le lion'' me
disait mon père. Et le rire des hyènes chassant la nuit!!
Puis
je me revois dans notre maison en poto poto. Je fais la sieste dans
mon lit sous une moustiquaire avec un garçon de mon âge. Nous
sommes couchés tête bêche et je presse son pied contre mon visage.
Et c'est cette même odeur fraîche, légèrement musquée, très
sensuelle, si j'avais connu à l'époque la signification de ce mot,
que je respire! Il avait suffi d'une fois pour que cette odeur et
cette image se gravent et se cachent pour plus de 20 ans quelque part
dans mon cerveau! Comment avaient elles su qu'elles seraient
importantes pour moi et que j'aurais besoin de les reconnaître un
jour !
J'ai
eu brusquement très envie de faire l'amour!
un beau souvenir olfactif ;)
RépondreSupprimerSouvenir olfactif qui a nourri d'autres souvenirs plus tard... Mais cela est une autre histoire! Merci de ton passage
RépondreSupprimer