dimanche 5 avril 2015

Le gout de la pomme de terre...

Pour certains c'est le goût d'une madeleine trempée dans une tasse de thé, une image, un bruit, un son... pour moi ça a été l'odeur d'une pomme de terre coupée. Je devais avoir une trentaine d'années. Je venais d'éplucher quelques pommes de terre. Mes mains étaient fraîches encore de leur humidité. Mais avant d'aller les passer sous l'eau, une légère odeur me fit m'arrêter. Ce n'était pas vraiment une odeur, c'était plus et mieux. Un parfum, un arôme, un effluve si doux et si particulier qu'il me semblait qu'il ne pouvait être perçu que par moi. Je passais la paume de ma main sous mon nez. C'était indéniablement l'odeur d'une pomme de terre fraîchement coupée. Mais je sentais qu'il y avait derrière quelque chose de beaucoup plus important. Je pris un morceau de pomme de terre et le passais sous mon nez. L'émotion fut si forte que je dus m'asseoir. Cette émotion semblait venir de très loin et être liée à un souvenir important. J'essayais de la suivre et de trouver ce qu'elle venait de réveiller dans ma mémoire. Je concentrais sur elle tous mes sens et mes neurones. Je repassais le morceau de pomme de terre sous mes narines. La sensation était toujours là mais déjà un peu affadie. Je cessais de renifler ce morceau de tubercule et tentais de débarrasser mon odorat de tout ce qui pouvait parasiter cette émotion. Je recommençais l'expérience un quart d'heure après. Elle avait perdu pratiquement toute sa force. Et brusquement j'eus peur de ne pas retrouver ce que tout ça avait réveillé en moi. Je me suis allongé sur le canapé, j'ai fermé les yeux et je me suis concentré sur ce qui me restait de la force de ma première sensation. Et je suis remonté en arrière. A chaque étape je balayais ma mémoire comme un phare balaye l'horizon. Tenace. Il fallait que je trouve. Et au bout d'un très long moment... des larmes me sont montées aux yeux.
C'était en... , il y a longtemps! J'avais 6 ans.
Moussoro village et poste militaire à 400 kms au nord de Fort-Lamy qui ne s'appelait pas encore N'Djamena! Le village sur une légère colline dominait le Bahr el-Ghazal "la rivière de la Gazelle".
Mon père jeune lieutenant était chef de poste et commandait une garnison, une compagnie de méharis. Dans ce village de quelques centaines d'habitants il y avait dix français. Un greffier, représentant l'Administration Française, sa femme et leur fils, un docteur, parfois un peu vétérinaire, et leurs deux fils, mon père ma mère et moi!
C'était une vie de petit prince, sans contraintes, les grands espaces, la liberté, pas d'école.
Je ne savais ni lire ni écrire!! Mais je participais à des chasses de nuit sur l'impériale d'un camion, je bivouaquais dans le reg autour d'un feu où grillait un méchoui, j'avais un âne et une biche naine apprivoisée. A la tombée du jour, sur la terrasse où mes parents prenaient l'apéritif, j’entendais les cris des animaux venant boire à la rivière à 2/3 kms de là, ''Tu entends le lion'' me disait mon père. Et le rire des hyènes chassant la nuit!!
Puis je me revois dans notre maison en poto poto. Je fais la sieste dans mon lit sous une moustiquaire avec un garçon de mon âge. Nous sommes couchés tête bêche et je presse son pied contre mon visage. Et c'est cette même odeur fraîche, légèrement musquée, très sensuelle, si j'avais connu à l'époque la signification de ce mot, que je respire! Il avait suffi d'une fois pour que cette odeur et cette image se gravent et se cachent pour plus de 20 ans quelque part dans mon cerveau! Comment avaient elles su qu'elles seraient importantes pour moi et que j'aurais besoin de les reconnaître un jour !
J'ai eu brusquement très envie de faire l'amour!

2 commentaires:

  1. un beau souvenir olfactif ;)

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  2. Souvenir olfactif qui a nourri d'autres souvenirs plus tard... Mais cela est une autre histoire! Merci de ton passage

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