Alchimie du verbe
d'Arthur Rimbaud
lu par Jean-Louis Barrault
Depuis
longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et
trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie
moderne. J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors,
toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la
littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans
orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres
de l'enfance, opéras vieux, refrains vieux, refrains niais, rythmes
changeants.
Je
rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas e
relation, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées,
révolution de mœurs, déplacements de races et de continents :
je croyais à tous les enchantements,
J'inventais
la couleur des voyelles ! -A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U
vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonnes, et,
avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe
poétique accessible un jour ou l'autre, à tpus les sens. Je
réservais la traduction.
Ce
fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je
notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. Je m'habituai à
l'hallucination simple ; je voyais très franchement une mosquée
à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges,
des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ;
les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait
des épouvantes devant moi. Puis j'expliquai mes sophismes magiques
avec l’hallucination des mots. Je finis par trouver sacré le désordre
de mon esprit.
Qu'il
vienne, qu'il vienne
Le
temps dont on s'éprenne
J'aimai
le désert, les vergers brûlés, les boutiques fanées, les boissons
tiédies. Je me traînais dans les ruelles puantes et, les yeux
fermés, je m'offrais au soleil, dieu de feu.
Le
loup criait sous les feuilles
En
crachant les belles plumes
De
son repas de volailles :
Comme
lui je me consume.
Ô
bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je
vécus, étincelle d'or de la lumière nature. De
joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible :
Elle
est retrouvée.
Quoi ?
- L’éternité.
C'est
la mer mêlée
Au
soleil.
Je
devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une
fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon
de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse
de la cervelle.
A
chaque être, plusieurs autres
vies me semblent dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il
est un ange. Cette famille est une nichée de chiens.
Aucun
des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a été
oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le
système.
Ma
santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des
sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les
plus tristes. J'étais mûr pour le trépas.
Je
dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau.
Sur la mer, que j'aimais comme si elle eut dû me laver d'une
souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été
damné par l'arc-en-ciel.
Ô
saisons, ô châteaux,
Quelle
âme est sans défaut ?
L'heure
de la fuite , hélas !
Sera
l'heure du trépas.
Ô
saisons, ô châteaux !
Cela
s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.
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