lundi 6 avril 2015

Ca peut pas faire de mal


Alchimie du verbe
d'Arthur Rimbaud
lu par Jean-Louis Barrault

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne. J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains vieux, refrains niais, rythmes changeants.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas e relation, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolution de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements,
J'inventais la couleur des voyelles ! -A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonnes, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible un jour ou l'autre, à tpus les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges. Je m'habituai à l'hallucination simple ; je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots. Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit.

Qu'il vienne, qu'il vienne
Le temps dont on s'éprenne

J'aimai le désert, les vergers brûlés, les boutiques fanées, les boissons tiédies. Je me traînais dans les ruelles puantes et, les yeux fermés, je m'offrais au soleil, dieu de feu.

Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.

Ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus, étincelle d'or de la lumière nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et égarée au possible :

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L’éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.

Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
A chaque être, plusieurs autres vies me semblent dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens.
Aucun des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J'étais mûr pour le trépas.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j'aimais comme si elle eut dû me laver d'une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J'avais été damné par l'arc-en-ciel.

Ô saisons, ô châteaux,
Quelle âme est sans défaut ?
L'heure de la fuite , hélas !
Sera l'heure du trépas.

Ô saisons, ô châteaux !

Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.

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