Jean Racine
PHEDRE
ACTE
I
SCÈNE
PREMIÈRE.
Hippolyte,
Théramène.
HIPPOLYTE.
Le
dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et
quitte le séjour de l'aimable Trézène.
Dans
le doute mortel dont je suis agité,
Je
commence à rougir de mon oisiveté.
Depuis
plus de six mois éloigné de mon père,
J'ignore
le destin d'une tête si chère.
J'ignore
jusqu'aux lieux qui le peuvent cacher.
THÉRAMÈNE.
Et
dans quels lieux, Seigneur, l'allez-vous donc chercher?
Déjà
pour satisfaire à votre juste crainte,
J'ai
couru les deux mers que sépare Corinthe.
J'ai
demandé Thésée aux peuples de ces bords
Où
l'on voit l'Achéron se perdre chez les morts.
J'ai
visité l'Élide, et laissant le Ténare,
Passé
jusqu'à la mer, qui vit tomber Icare.
Sur
quel espoir nouveau, dans quels heureux climats Croyez-vous découvrir
la trace de ses pas ?
Qui
sait même, qui sait si le roi votre père
Veut
que de son absence on sache le mystère ?
Et
si lorsque avec vous nous tremblons pour ses jours, Tranquille, et
nous cachant de nouvelles amours,
Ce
héros n'attend point qu'une amante abusée...
HIPPOLYTE.
Cher
Théramène, arrête, et respecte Thésée.
De
ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par
un indigne obstacle il n'est point retenu ;
Et
fixant de ses voeux l'inconstance fatale,
Phèdre
depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin
en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et
je fuirai ces lieux que je n'ose plus voir.
THÉRAMÈNE.
Hé
depuis quand, Seigneur, craignez-vous la présence
De
ces paisibles lieux, si chers à votre enfance,
Et
dont je vous ai vu préférer le séjour
Au
tumulte pompeux d'Athènes et de la cour ?
Quel
péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?
HIPPOLYTE.
Cet
heureux temps n'est plus. Tout a changé de face Depuis que sur ces
bords les dieux ont envoyé
La
fille de Minos et de Pasiphaé.
THÉRAMÈNE.
J'entends.
De vos douleurs la cause m'est connue,
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse
marâtre, à peine elle vous vit,
Que
votre exil d'abord signala son crédit.
Mais
sa haine sur vous autrefois attachée,
Ou
s'est évanouie, ou s'est bien relâchée.
Et
d'ailleurs, quels périls vous peut faire courir
Une
femme mourante, et qui cherche à mourir ?
Phèdre
atteinte d'un mal qu'elle s'obstine à taire,
Lasse
enfin d'elle-même, et du jour qui l'éclaire,
Peut-elle
contre vous former quelques desseins ?
HIPPOLYTE.
Sa
vaine inimitié n'est pas ce que je crains.
Hippolyte
en partant fuit une autre ennemie.
Je
fuis, je l'avouerai, cette jeune Aricie,
Reste
d'un sang fatal conjuré contre nous.
THÉRAMÈNE.
Quoi
! vous-même, Seigneur, la persécutez-vous ?
Jamais
l'aimable soeur des cruels Pallantides
Trempa-t-elle
aux complots de ses frères perfides ?
Et
devez-vous haïr ses innocents appas ?
HIPPOLYTE.
Si
je la haïssais, je ne la fuirais pas.
THÉRAMÈNE.
Seigneur,
m'est-il permis d'expliquer votre fuite ? Pourriez-vous n'être plus
ce superbe Hippolyte, Implacable ennemi des amoureuses lois,
Et
d'un joug que Thésée a subi tant de fois ?
Vénus
par votre orgueil si longtemps méprisée,
Voudrait-elle
à la fin justifier Thésée ?
Et
vous mettant au rang du reste des mortels,
Vous
a-t-elle forcé d'encenser ses autels ?
Aimeriez-vous,
Seigneur ?
HIPPOLYTE.
Ami,
qu'oses-tu dire ?
Toi
qui connais mon coeur depuis que je respire,
Des
sentiments d'un coeur si fier, si dédaigneux,
Peux-tu
me demander le désaveu honteux ?
C'est
peu qu'avec son lait une mère amazone
M'ait
fait sucer encor cet orgueil qui t'étonne.
Dans
un âge plus mûr moi-même parvenu,
Je
me suis applaudi, quand je me suis connu.
Attaché
près de moi par un zèle sincère,
Tu
me contais alors l'histoire de mon père.
Tu
sais combien mon âme attentive à ta voix,
S'échauffait au récit de ses nobles exploits ;
S'échauffait au récit de ses nobles exploits ;
Quand
tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant
les mortels de l'absence d'Alcide,
Les
monstres étouffés, et les brigands punis,
Procuste,
Cercyon, et Sciron, et Sinnis,
Et
les os dispersés du géant d'Épidaure,
Et
la Crète fumant du sang du Minotaure.
Mais
quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa
foi partout offerte, et reçue en cent lieux,
Hélène
à ses parents dans Sparte dérobée,
Salamine
témoin des pleurs de Péribée,
Tant
d'autres, dont les noms lui sont même échappés, Trop crédules
esprits que sa flamme a trompés ;
Ariane
aux rochers contant ses injustices,
Phèdre
enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;
Tu
sais comme à regret écoutant ce discours,
Je
te pressais souvent d'en abréger le cours.
Heureux
! si j'avais pu ravir à la mémoire
Cette
indigne moitié d'une si belle histoire.
Et
moi-même à mon tour je me verrais lié ?
Et
les dieux jusque-là m'auraient humilié ?
Dans
mes lâches soupirs d'autant plus méprisable,
Qu'un
long amas d'honneurs rend Thésée excusable, Qu'aucuns monstres par
moi domptés jusqu'aujourd'hui, Ne m'ont acquis le droit de faillir
comme lui.
Quand
même ma fierté pourrait s'être adoucie,
Aurais-je
pour vainqueur dû choisir Aricie ?
Ne
souviendrait-il plus à mes sens égarés
De
l'obstacle éternel qui nous a séparés ?
Mon
père la réprouve, et par des lois sévères
Il
défend de donner des neveux à ses frères ;
D'une
tige coupable il craint un rejeton.
Il
veut avec leur soeur ensevelir leur nom,
Et
que jusqu'au tombeau soumise à sa tutelle,
Jamais
les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je
épouser ses droits contre un père irrité ? Donnerai-je l'exemple à
la témérité ?
Et
dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
THÉRAMÈNE.
Ah,
Seigneur ! si votre heure est une fois marquée,
Le
ciel de nos raisons ne sait point s'informer.
Thésée
ouvre vos yeux en voulant les fermer,
Et
sa haine irritant une flamme rebelle,
Prête
à son ennemie une grâce nouvelle.
Enfin
d'un chaste amour pourquoi vous effrayer ?
S'il
a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer ?
En
croirez-vous toujours un farouche scrupule ?
Craint-on
de s'égarer sur les traces d'Hercule ?
Quels
courages Vénus n'a-t-elle pas domptés !
Vous-même
où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si
toujours Antiope à ses lois opposée,
D'une
pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée ?
Mais
que sert d'affecter un superbe discours ?
Avouez-le,
tout change. Et depuis quelques jours
On
vous voit moins souvent, orgueilleux, et sauvage, Tantôt faire
voler un char sur le rivage,
Tantôt
savant dans l'art par Neptune inventé,
Rendre
docile au frein un coursier indompté.
Les
forêts de nos cris moins souvent retentissent. Chargés d'un feu
secret vos yeux s'appesantissent.
Il
n'en faut point douter, vous aimez, vous brûlez.
Vous
périssez d'un mal que vous dissimulez.
La
charmante Aricie a-t-elle su vous plaire ?
HIPPOLYTE.
Théramène,
je pars, et vais chercher mon père.
THÉRAMÈNE.
Ne
verrez-vous point Phèdre avant que de partir, Seigneur ?
HIPPOLYTE.
C'est
mon dessein, tu peux l'en avertir.
Voyons-la,
puisque ainsi mon devoir me l'ordonne.
Mais
quel nouveau malheur trouble sa chère Oenone ?
SCÈNE
II.
Hippolyte,
Oenone, Théramène.
OENONE.
Hélas,
Seigneur ! quel trouble au mien peut-être égal ?
La reine touche presque à son terme fatal.
La reine touche presque à son terme fatal.
En
vain à l'observer jour et nuit je m'attache.
Elle
meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache.
Un
désordre éternel règne dans son esprit.
Son
chagrin inquiet l'arrache de son lit.
Elle
veut voir le jour ; et sa douleur profonde
M'ordonne
toutefois d'écarter tout le monde...
Elle
vient.
HIPPOLYTE.
Il
suffit, je la laisse en ces lieux,
Et
ne lui montre point un visage odieux.
SCÈNE
III.
Phèdre,
Oenone.
PHÈDRE.
N'allons
point plus avant. Demeurons, chère Oenone.
Je
ne me soutiens plus, ma force m'abandonne.
Mes
yeux sont éblouis du jour que je revois,
Et
mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas
!
OENONE.
Dieux
tout-puissants ! Que nos pleurs vous apaisent.
PHÈDRE.
Que
ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! Quelle importune
main, en formant tous ces noeuds,
A
pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux ?
Tout m'afflige et
me nuit, et conspire à me nuire.
OENONE.
Comme
on voit tous ses voeux l'un l'autre se détruire ! Vous-même
condamnant vos injustes desseins,
Tantôt
à vous parer vous excitiez nos mains.
Vous-même
rappelant votre force première,
Vous
vouliez vous montrer et revoir la lumière ;
Vous
la voyez, Madame, et prête à vous cacher,
Vous
haïssez le jour que vous veniez chercher ?
PHÈDRE.
Noble
et brillant auteur d'une triste famille,
Toi,
dont ma mère osait se vanter d'être fille,
Qui
peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil,
je te viens voir pour la dernière fois.
OENONE.
Quoi
! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous
verrai-je toujours, renonçant à la vie,
Faire
de votre mort les funestes apprêts ?
PHÈDRE.
Dieux
! Que ne suis-je assise à l'ombre des forêts !
Quand pourrai-je au travers d'une noble poussière
Quand pourrai-je au travers d'une noble poussière
Suivre
de l'oeil un char fuyant dans la carrière ?
OENONE.
Quoi,
Madame !
PHÈDRE.
Insensée,
où suis-je ? et qu'ai-je dit ?
Où
laissé-je égarer mes voeux, et mon esprit ?
Je
l'ai perdu. Les dieux m'en ont ravi l'usage.
Oenone,
la rougeur me couvre le visage,
Je
te laisse trop voir mes honteuses douleurs,
Et
mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs.
OENONE.
Ah
! s'il vous faut rougir, rougissez d'un silence,
Qui
de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle
à tous nos soins, sourde à tous nos discours, Voulez-vous sans
pitié laisser finir vos jours ?
Quelle
fureur les borne au milieu de leur course ?
Quel
charme ou quel poison en a tari la source ?
Les
ombres par trois fois ont obscurci les cieux,
Depuis
que le sommeil n'est entré dans vos yeux ;
Et
le jour a trois fois chassé la nuit obscure,
Depuis
que votre corps languit sans nourriture.
À
quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
De
quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?
Vous
offensez les dieux auteurs de votre vie. Vous trahissez l'époux à
qui la foi vous lie,
Vous
trahissez enfin vos enfants malheureux,
Que
vous précipitez sous un joug rigoureux.
Songez
qu'un même jour leur ravira leur mère,
Et
rendra l'espérance au fils de l'étrangère,
À
ce fier ennemi de vous, de votre sang,
Ce
fils qu'une Amazone a porté dans son flanc,
Cet
Hippolyte...
PHÈDRE.
Ah
dieux !
OENONE.
Ce
reproche vous touche.
PHÈDRE.
Malheureuse,
quel nom est sorti de ta bouche ?
OENONE.
Hé
bien, votre colère éclate avec raison.
J'aime
à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez
donc. Que l'amour, le devoir vous excite.
Vivez,
ne souffrez pas que le fils d'une Scythe,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Accablant vos enfants d'un empire odieux,
Commande
au plus beau sang de la Grèce, et des dieux. Mais ne différez
point, chaque moment vous tue.
Réparez
promptement votre force abattue,
Tandis
que de vos jours prêts à se consumer
Le
flambeau dure encore, et peut se rallumer.
PHÈDRE.
J'en
ai trop prolongé la coupable durée.
OENONE.
Quoi
! de quelques remords êtes-vous déchirée ?
Quel
crime a pu produire un trouble si pressant ?
Vos
mains n'ont point trempé dans le sang innocent ?
PHÈDRE.
Grâces
au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plût
aux dieux que mon coeur fût innocent comme elles !
OENONE.
Et
quel affreux projet avez-vous enfanté,
Dont
votre coeur encor doive être épouvanté ?
PHÈDRE.
Je
t'en ai dit assez. Épargne moi le reste.
Je
meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.
OENONE.
Mourez
donc, et gardez un silence inhumain.
Mais
pour fermer vos yeux cherchez une autre main. Quoiqu'il vous reste à
peine une faible lumière,
Mon
âme chez les morts descendra la première.
Mille
chemins ouverts y conduisent toujours,
Et
ma juste douleur choisira les plus courts.
Cruelle,
quand ma foi vous a-t-elle déçue ?
Songez-vous
qu'en naissant mes bras vous ont reçue ? Mon pays, mes enfants, pour
vous j'ai tout quitté. Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?
PHÈDRE.
Quel
fruit espères-tu de tant de violence ?
Tu
frémiras d'horreur si je romps le silence.
OENONE.
Et
que me direz-vous, qui ne cède, grands dieux !
À
l'horreur de vous voir expirer à mes yeux ?
PHÈDRE.
Quand
tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je
n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.
OENONE.
Madame,
au nom des pleurs que pour vous j'ai versés,
Par
vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez
mon esprit de ce funeste doute.
PHÈDRE.
Tu
le veux. Lève-toi.
OENONE.
Parlez.
Je vous écoute.
PHÈDRE.
Ciel
! que lui vais-je dire ? Et par où commencer ?
OENONE.
Par
de vaines frayeurs cessez de m'offenser.
PHÈDRE.
Ô
haine de Vénus ! Ô fatale colère !
Dans
quels égarements l'amour jeta ma mère !
OENONE.
Oublions-les,
Madame. Et qu'à tout l'avenir
Un
silence éternel cache ce souvenir.
PHÈDRE.
Ariane,
ma soeur ! De quel amour blessée,
Vous
mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ?
OENONE.
Que
faites-vous, Madame ? Et quel mortel ennui,
Contre
tout votre sang vous anime aujourd'hui ?
PHÈDRE.
Puisque
Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je
péris la dernière, et la plus misérable.
OENONE.
Aimez-vous
?
PHÈDRE.
De
l'amour j'ai toutes les fureurs.
OENONE.
Pour
qui ?
PHÈDRE.
Tu
vas ouïr le comble des horreurs.
J'aime...
à ce nom fatal je tremble, je frissonne.
J'aime...
OENONE.
Qui
?
PHÈDRE.
Tu
connais ce fils de l'Amazone,
Ce
prince si longtemps par moi-même opprimé.
OENONE.
Hippolyte
! Grands dieux !
PHÈDRE.
C'est
toi qui l'as nommé.
OENONE.
Juste
ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
Ô
désespoir ! Ô crime ! Ô déplorable race !
Voyage
infortuné ! Rivage malheureux !
Fallait-il
approcher de tes bords dangereux ?
PHÈDRE.
Mon
mal vient de plus loin. À peine au fils d'Égée,
Sous
les lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon
repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes
me montra mon superbe ennemi.
Je
le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Un
trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes
yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je
sentis tout mon corps et transir, et brûler.
Je
reconnus Vénus, et ses feux redoutables,
D'un
sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par
des voeux assidus je crus les détourner,
Je
lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner.
De
victimes moi-même à toute heure entourée,
Je
cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D'un
incurable amour remèdes impuissants !
En
vain sur les autels ma main brûlait l'encens.
Quand
ma bouche implorait le nom de la déesse,
J'adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
J'adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
Même
au pied des autels que je faisais fumer,
J'offrais
tout à ce dieu, que je n'osais nommer.
Je
l'évitais partout. Ô comble de misère !
Mes
yeux le retrouvaient dans les traits de son père. Contre moi-même
enfin j'osai me révolter.
J'excitai
mon courage à le persécuter.
Pour
bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,
J'affectai
les chagrins d'une injuste marâtre,
Je
pressai son exil, et mes cris éternels
L'arrachèrent
du sein, et des bras paternels.
Je
respirais, Oenone ; et depuis son absence,
Mes
jours moins agités coulaient dans l'innocence. Soumise à mon époux,
et cachant mes ennuis,
De
son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines
précautions ! Cruelle destinée !
Par
mon époux lui-même à Trézène amenée
J'ai
revu l'ennemi que j'avais éloigné.
Ma
blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce
n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C'est
Vénus tout entière à sa proie attachée.
J'ai
conçu pour mon crime une juste terreur.
J'ai
pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je
voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et
dérober au jour une flamme si noire.
Je
n'ai pu soutenir tes larmes, tes combats.
Je
t'ai tout avoué, je ne m'en repens pas,
Pourvu
que de ma mort respectant les approches
Tu
ne m'affliges plus par d'injustes reproches,
Et
que tes vains secours cessent de rappeler
Un
reste de chaleur, tout prêt à s'exhaler.
SCÈNE
IV.
Phèdre,
Oenone, Panope.
PANOPE.
Je
voudrais vous cacher une triste nouvelle,
Madame.
Mais il faut que je vous la révèle.
La
mort vous a ravi votre invincible époux,
Et
ce malheur n'est plus ignoré que de vous.
OENONE.
Panope,
que dis-tu ?
PANOPE.
Que
la reine abusée
En
vain demande au ciel le retour de Thésée,
Et
que par des vaisseaux arrivés dans le port
Hippolyte
son fils vient d'apprendre sa mort.
PHÈDRE.
Ciel
!
PANOPE.
Pour
le choix d'un maître Athènes se partage.
Au
prince votre fils l'un donne son suffrage,
Madame,
et de l'État l'autre oubliant les lois
Au
fils de l'étrangère ose donner sa voix.
On
dit même qu'au trône une brigue insolente
Veut
placer Aricie, et le sang de Pallante.
J'ai
cru de ce péril vous devoir avertir.
Déjà
même Hippolyte est tout prêt à partir,
Et
l'on craint, s'il paraît dans ce nouvel orage,
Qu'il
n'entraîne après lui tout un peuple volage.
OENONE.
Panope,
c'est assez. La reine qui t'entend,
Ne
négligera point cet avis important.
SCÈNE
V.
Phèdre,
Oenone.
OENONE.
Madame,
je cessais de vous presser de vivre.
Déjà
même au tombeau je songeais à vous suivre.
Pour
vous en détourner je n'avais plus de voix.
Mais
ce nouveau malheur vous prescrit d'autres lois. Votre fortune change
et prend une autre face.
Le
roi n'est plus, Madame, il faut prendre sa place.
Sa
mort vous laisse un fils à qui vous vous devez,
Esclave,
s'il vous perd, et roi, si vous vivez.
Sur
qui dans son malheur voulez-vous qu'il s'appuie ?
Ses
larmes n'auront plus de main qui les essuie.
Et
ses cris innocents portés jusques aux dieux,
Iront
contre sa mère irriter ses aïeux.
Vivez,
vous n'avez plus de reproche à vous faire.
Votre
flamme devient une flamme ordinaire.
Thésée
en expirant vient de rompre les noeuds,
Qui
faisaient tout le crime et l'horreur de vos feux. Hippolyte pour vous
devient moins redoutable,
Et
vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.
Peut-être
convaincu de votre aversion
Il
va donner un chef à la sédition.
Détrompez
son erreur, fléchissez son courage.
Roi
de ces bords heureux, Trézène est son partage,
Mais
il sait que les lois donnent à votre fils
Les
superbes remparts que Minerve a bâtis.
Vous
avez l'un et l'autre une juste ennemie.
Unissez-vous
tous deux pour combattre Aricie.
PHÈDRE.
Hé
bien ! À tes conseils je me laisse entraîner.
Vivons,
si vers la vie on peut me ramener,
Et
si l'amour d'un fils en ce moment funeste,
De
mes faibles esprits peut ranimer le reste.
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