Après sa libération du camp
de Dachau et deux mois dans un hôpital, Isaac demanda à retourner à Berlin.
C’était sa ville. C’est là qu’il voulait essayer de revivre. Il sentait qu’il
ne pourrait pas le faire ailleurs.
Avant la guerre il vivait
dans le quartier de Wittenau, maintenant dans le secteur français. Il avait
essayé de retrouver sa rue, sa maison. En vain. Tout était en ruines. Très vite
il cessa de les rechercher. A quoi bon après tout. Rien, absolument rien ne
pourrait ressusciter le passé.
Il reçut bientôt une petite
aide d’une association de secours aux rescapés des camps. Pas énorme mais
suffisante pour louer une petite chambre dans un hôtel meublé. Huit personnes
et deux couples vivaient là. Les contacts se limitaient au repas du soir dans
la salle commune autour d’un poste de TSF qui diffusait ‘’La voix de
l’Amérique’’.
Isaac avait également trouvé
un travail dans une bibliothèque. Les quelques marks qu’il y gagnait lui
permettaient de survivre.
Cela lui suffisait. Pas
d’amis. Ses contacts, rares, étaient réduits à ses voisins de son meublé et à
ses collègues à la bibliothèque, qui eux-mêmes n’étaient pas friands de
convivialité. Isaac était un homme seul. Son monde, tous ceux qu’il aimait
avaient disparu un matin de mai 1942. Et sa solitude lui paraissait aujourd’hui
préférable à tout ce qu’il avait vécu ces dernières années.
Tous les matins pour aller au
travail il traversait le parc qui entourait le lac de Tegel. Et tous les matins
il s’arrêtait devant le kiosque à journaux pour lire les gros titres des
journaux. Tels qu’ils étaient placés sur les portants il ne pouvait pas en lire
plus. En acheter un tous les matins était au-dessus de ses moyens. En dehors de
quelques hebdomadaires il y avait essentiellement des quotidiens allemands,
quelques journaux anglais et français et, placé tout en bas un journal en
hébreu qui donnait des nouvelles d’Israël ‘’Maariv’’, ''מעריב''
Tous les
jours c’était le même rituel. Le marchand de journaux ne le remarquait même
plus.
Ce matin
de mai 1946, un an après sa libération du camp, Isaac connaissait son premier
printemps d’homme libéré. L’air était doux, le parc magnifique. Il sentait de
nouveau le sang couler dans ses veines. Sans pouvoir se dire qu’il était
heureux, Isaac se sentait pour la première fois sinon serein, du moins apaisé,
et devant le kiosque il eut un geste incontrôlé. Il prit l’unique exemplaire du
journal ‘’Maariv’’, fit quelques pas pour aller s’asseoir sur un banc et
se mit à le lire. La réaction de l’homme du kiosque ne se fit pas
attendre :
- He, toi là-bas, c’est pas un salon
de lecture ici. Tu prends le journal, tu le payes. Tu te crois où sale juif !
Intérieurement
Isaac reçut l’insulte avec une violence inouïe.
Mais
trois années à Dachau lui avaient appris à ne plus rien montrer de ses
émotions. Il respira profondément, replia son journal, se leva et revint
lentement vers le kiosque. Arrivé devant le marchand de journaux, il planta son
regard dans le sien. C’était la première fois que l’homme du kiosque affrontait
ce regard. Il en fut presque hypnotisé. Puis Isaac remonta la manche gauche de
sa veste et lui présenta l’intérieur de son avant-bras où étaient tatoués à
l’encre violette six numéros 173-380.
Cette
fois-çi l’homme vacilla et recula d’un pas dans son kiosque. Isaac retourna
s’asseoir sur son banc et reprit sa lecture...
A demain suite et fin
A demain suite et fin
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