samedi 3 juin 2017

Incipit 36 - Comtesse de Ségur - Mémoires d'un âne




Je ne me souviens pas de mon enfance ; je fus probablement malheureux comme tous les ânons, joli, gracieux comme nous le sommes tous ; très certainement je fus plein d’esprit, puisque, tout vieux que je suis, j’en ai encore plus que mes camarades. J’ai attrapé plus d’une fois mes pauvres maîtres, qui n’étaient que des hommes, et qui, par conséquent, ne pouvaient pas avoir l’intelligence d’un âne.
Je vais commencer par vous raconter un des tours que je leur ai joués dans le temps de mon enfance :
Les hommes n’étant pas tenus de savoir tout ce que savent les ânes, vous ignorez sans doute, vous qui lisez ce livre, ce qui est connu de tous les ânes mes amis : c’est que tous les mardis il y a dans la ville de Laigle un marché où l’on vend des légumes, du beurre, des œufs, du fromage, des fruits et autres choses excellentes. Ce mardi est un jour de supplice pour mes pauvres confrères ; il l’était pour moi aussi avant que je fusse acheté par ma bonne vieille maîtresse, votre grand’mère, chez laquelle je vis maintenant. J’appartenais à une fermière exigeante et méchante. Figurez-vous, mon cher petit maître, qu’elle poussait la malice jusqu’à ramasser tous les œufs que pondaient ses poules, tout le beurre et les fromages que lui donnait le lait de ses vaches, tous les légumes et fruits qui mûrissaient dans la semaine, pour remplir des paniers qu’elle mettait sur mon dos.

2 commentaires:

  1. Bizarre émotion : j'ai découvert la Comtesse dans le grenier de ma grand-mère suisse. Je n'oublierai jamais le mot 'turkey' :)

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    1. Turkey??? Je dois avoir oublié quelque chose... Il faut dire que je n'ai pas relu cette bonne comtesse depuis bien longtemps. Mais je vois qu'elle a marqué quelques générations. Je ne sais pas ce qu'il en est de la dernière !

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