jeudi 30 juillet 2015

Ca peut pas faire de mal - Le bateau ivre - Rimbaud - Ferré




 










Un voyage incandescent


Le Bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et des lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
− Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
− Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

mardi 28 juillet 2015

Une image, une seconde - L'inconnu du lac

Où comment montage et musique peuvent changer totalement l'atmosphère d'une scène...


Bibliothèques de campagne


Les bibliothèques et les greniers des résidences secondaires à la campagne sont un peu les maisons de retraite des livres. On y rapatrie tout ce que l’on ne peut plus stocker dans les appartements, devenus trop petits, des villes. Quand trois ou quatre générations y entassent ses lectures, il finit par y en avoir partout. Dans le salon, les couloirs, les chambres, les WC, la cuisine, où voisinent un peu graisseux, l’incontournable Ginette Mathiot, Françoise Bernard et le grand Larousse illustré de la cuisine…
Voyager dans ces rayonnages c’est un peu comme plonger une carotte dans la calotte glacière. Les vieilles bibliothèques sont un peu des univers dont nous sommes les explorateurs. On remonte des vestiges, des comportements, des habitudes de lecture que l’on croyait oubliés. C’est plein de livres, de titres disparus des librairies et des ‘’espaces culturels’’ des grandes surfaces. Si on les trouve encore ce doit être dans les vide-greniers de village ou chez Emmaüs. Et on va de surprises en surprises.
J’étais dans une de ces maisons de campagne il y a quelques mois, et dans ma chambre, une bibliothèque couvrait une bonne partie du mur sur la droite de mon lit. En lisant, au risque d’un tortis colis, les titres sur les dos des livres, je me souvenais de ma propre petite bibliothèque, que décidément je ne me console pas d’avoir dispersée lors de mon dernier déménagement. On s’ était mis à trois pour la remplir. Ma mère, ma sœur et moi et la troisième génération commençait à y mettre son grain de sel.
Et dans cette chambre à la campagne je retrouvais des livres qui se trouvaient ou auraient pu se trouver dans la mienne.
En vrac ! Les gros best-sellers de l’été, lus avec le même plaisir un peu trouble que celui éprouvé devant une émission de télé-réalité. Piaf, Papillon, Le Grec… Les essais politico-économiques dont le succès nous faisait croire qu’il fallait les lire : ‘’Quand la Chine s’éveillera’’, ‘’Le noir et le rouge’’’ de Catherine Nay, Raymond Tournoux ‘’La tragédie du Général’’. Quelques polars un peu dépassés : un Paul Kenny, deux OSS 117, Trois SAS, quatre San Antonio. Agatha Christie se fait une place entre Arsène Lupin et Sherlock Holmes. Côte à côte : ‘’Naufragé volontaire’’ d’Alain Bombard et ‘’L’expédition du Kon Tiki’’. Des raretés…Un Quid, Le journal de l’année 1978, une méthode Assimil d’allemand, une demi-douzaine de ‘’Sélection du Reader Digest’’… Côté théâtre, Marcel Achard et André Roussin, voisinent avec Marcel Pagnol. ‘’Dieu existe je l’ai rencontré’’ semble écrasé entre ‘’Cette nuit la liberté’’ et ‘’Le jour le plus long’’. Trois volumes d’Angélique Marquise des Anges. Dans le troisième ‘’Angélique et le Roy’’ un vieux ticket de métro-marque-page signale la fin de l’ambition de lire l’intégrale de la série. ''Les Rois maudits''.Si dans la famille on peut deviner qui a lu ‘’Tendre et violente Elizabeth’’ ou ‘’Le palanquin des larmes’’, qui a lu ‘’La rage de vivre’’ de Mezz Mezzrow, ‘’Bienvenue à l’Armée Rouge ou le premier guide pratique du collabo’’ ou ‘’Les Mémoires de guerre’’… Et deux livres qui m’avaient enchanté : ‘’Les carnets du Major Thompson’’, et ‘’Les silences du colonel Bramble’’, ‘’Le naïf aux quarante enfants’’. En prenant pour le feuilleter j’ai trouvé caché derrière, comme honteusement, ‘’La foire aux cancres’’. Ce qui nous fait rire aujourd’hui a bien changé… Un Modiano, un Colette, deux Sagan. Et renvoyées dos à dos ‘’Nicole Nobody’’ de la duchesse de Bedford et ‘’La baronne rentre à cinq heures’’ de Nadine de Rotschild… Et sur le premier rayonnage tout en bas Spirou et Fantasio, Tintin, Tif et Tondu, Buck Danny, Gaston Lagaffe.....
J’ai l’habitude de lire un peu avant de m’endormir. Ce soir-là j’ai choisi un livre de mots croisés de Max Favalelli… et j’ai veillé un peu plus qu’escompté !

dimanche 19 juillet 2015

Masculin masculin



La beauté serait-elle un malheur?




C’est en rapprochant ces deux photos du trompettiste Chet Baker que m’est venue l’idée de ce post. Comment passe-t-on de ce jeune homme, lumineux, solaire à cet homme vieilli avant l’âge, il est mort à 60 ans, ravagé, ruiné physiquement. C’est comme si, ayant eu honte de sa beauté, il n’avait eu de cesse de la détruire en se détruisant lui-même pour ne plus être jugé que sur son talent de musicien…
Pour Socrate la beauté est ‘’une tyrannie de courte durée’’, pour Platon ‘’un privilège accordé par la nature’’, pour Théophraste ‘’une tromperie silencieuse’’ pour Théocrite ‘’un bijou de pacotille à l’éclat d’ivoire’’. On le voit la beauté n’est pas une petite affaire…
Tyrannie dit Socrate ! Mais pour qui ? Pour celui qui doit la subir en l’ayant devant les yeux, ou le beau lui-même qui sait que les regards portés sur lui le sont pour une chose qui ne dépend pas de lui. Et que ces regards ne sont pas neutres mais au mieux d’admiration, au pire de concupiscence !
La beauté est difficile à porter car elle est souvent prise pour un signe de bêtise. Par une misogynie, condamnable mais malheureusement encore assez courante, la bêtise n’est pas considérée comme grave chez les femmes, mais elle est infamante chez les hommes. Un homme beau est donc doublement maudit. Beau et con à la fois ! Et pire encore, la beauté rend bête. Les autres… Nous, intimidés, foudroyés par le sexe surnaturel de la beauté. Alors que le beau ne veut être aimé que pour lui-même comme le riche veut qu’on l’aime pour autre chose que pour sa richesse. Combat le plus souvent vain dans un cas comme dans l’autre.
La beauté serait-elle un malheur ?

samedi 11 juillet 2015

A tous les faunes...


De la Corrida...



La mort rôde dans l'après-midi vers les 5 heures au-dessus des arènes que le soleil partage entre ''sol y sombra''.
Là, deux bêtes sublimes de beauté vont s'affronter dans un combat où se mêleront l'amour, le sexe, le sang, la mort et qui se terminera dans ce qu'une foule extatique voudra voir comme l'accomplissement d'une beauté tragique à l'image de la vie et qui n'est finalement qu'un assassinat programmé et un carnage sanglant.
Comment deux créatures si belles prises séparément peuvent-elles en arriver à cela ?
D'un côté le taureau, à qui on n'a rien demandé,divinité mythique, vieille comme le monde, descendant d'Apis et du Minotaure, symbole de fertilité, de force physique, de puissance sexuelle.
De l'autre, le toréador. Beau, délicat, fragile, presque féminin. Symbole sexuel lui aussi. Sa deuxième peau de lumière ne cache rien de ce qui attire les regards, les convoitises, les désirs des hommes, des femmes et du taureau vers lequel il s'avance cambré, ventre offert au mufle et à la corne. L'ange de lumière contre la noirceur de la bête. Et au centre de l'arène ''qui donc est le plus seul, de l'homme et du taureau''?
On évoque toujours la dimension sexuelle, érotique de la corrida. Mais s'il y a Eros, il y a aussi Thanatos. Et que ce soit par l'épée ou par la corne, tout se termine toujours par une pénétration mortelle.
Je ne mets pas de photo de mise à mort. Le taureau n'a pas demandé à être là. Quant au toréador, il avait la possibilité de rester chez lui. Et si c'est lui qui est pénétré, je pense que c'est la foule qui a un orgasme!!!
 






  

Opéra imaginaire - Madame Butterfly



L'exilé d'Ischia - I



Il y a des moments où le temps parait s’être suspendu dans une sorte de perfection. Où l’homme semble à sa juste place dans un monde de beauté de sérénité, d’équilibre. C’est ce que je ressens en cette fin d’après-midi du mois de sextilis. De la terrasse de ma villa, face à la mer, allongé sur mon lit de repos je vois le soleil descendre peu à peu vers l’horizon. Pas un souffle de vent, une mer calme, plate sans trace d’écume, un ciel pur sans nuage ; sauf quelques filaments qui semblent se précipiter vers l’endroit où le soleil va plonger dans la Méditerranée pour m' offrir un spectacle digne de la création du monde. Le silence est juste brisé par le chant d’un couple de chardonnerets voletant dans une grande volière derrière moi. Un monde tel que l’avaient voulu les dieux, tel qu’ils l’avaient donné aux hommes ; mais que les hommes avaient dévasté, saccagé, abreuvé de sang, réduit à leurs ambitions et à leurs jouissances personnelles, fâchant ainsi les dieux et les rendant sourds à leurs prières.
Un bruit de sandales sur le sol en tuiles rouge m’annonce l’arrivée d’un esclave venant allumer les torchères et m’apporter une légère collation faite d’une carafe de vin rouge, de fromage de chèvre, d’olives, le tout produits de mes terres autour de la villa, et d'une miche de pain que le boulanger du village monte à la villa à chaque fournée. C'est aussi le moment ou mon fils adoptif Epaphrodite vient protéger mes vieux os de l’humidité qui monte de la mer avec une chaude couverture de laine. Il s’installe à côté de moi et nous devisons pendant une petite heure durant laquelle j’essaye de lui transmettre le peu que j’ai appris durant ma longue vie. 90 ans. A notre époque c’est presque un début d’éternité. La proximité des thermes d’eaux chaudes et sulfureuses de Casamicciola avait été une des raisons de mon installation à Ischia et trois bains par semaine soulagent mes rhumatismes et mes articulations rouillées.
Mais en dehors de cela, j’ai toujours préféré Ischia à Capri. J’ai été amené à y suivre plusieurs fois Tibère. Mais rapidement je n’ai plus supporté, malgré le faste de son palais, les scènes de torture, d’humiliation, d’assassinats dont j’ai été le témoin ; les jeunes éphèbes jetés du haut de la falaise dans la mer où des pécheurs achevaient à coups de rames les survivants. La terreur qu’inspirait Tibère ne s’imposait pas qu’aux capriotes, mais à toute la cour qui le suivait. J’ai encore au fond de ma conscience quelques actes de lâcheté dont je ne me suis jamais totalement remis. La peur explique beaucoup de comportements mais n’en justifie aucun, la bassesse du courtisan moins qu’un autre. Et les cinq empereurs sous lesquels j’ai vécu ont, à part Auguste, usé et abusé de la terreur et ne représentent pas la période la plus glorieuse de l'histoire de Rome. Tibère tué par Caligula et l’ignoble Macron, préfet du prétoire, Caligula, assassiné par sa garde, Claude, empoisonné par sa femme Agrippine. Je ne vois pas comment notre imperator actuel, Néron, pourrait également échapper à une fin violente…
Au soir de ma vie, j’essaye d’expliquer à Epaphrodite comment j’en suis arrivé à cette soirée sur la terrasse de ma villa ischiote.

Jeune, je n'ai pas aimé la jeunesse, le goût ne m'en est venu que plus tard. Et je n'ai pas aimé ma jeunesse sous la férule d'un père aussi puissant qu'autoritaire, pater familias d'une des plus vieilles familles patriciennes. Il était une des voix très écoutée du Sénat. Il possédait de vastes propriétés en Ombrie et une fortune tout aussi considérable. En tant que fils unique il m'a donné l'éducation qu'il croyait nécessaire pour faire de moi son digne héritier. Mes premières leçons me furent données dans notre villa ombrienne par un précepteur grec, je lui dois mon amour de ce pays. Il était aidé par un esclave instruit, mon pédagogue. Je m'attachais très vite à ce pédagogue. Il devait avoir 25 ans, était doux, patient et pétri de culture grecque. Je n'ai jamais connu son nom, on ne l'appelait que Servus.
A 12 ans mon père m'envoya dans le meilleur lyceum de Rome pour parfaire mon éducation, J'y développai ma passion pour la Grèce. Alexandre et Alcibiade plus que César et Marc Antoine, plus Socrate que Cicéron, plus Homère que Virgile et ce au détriment des exercices physiques et instruction militaire, Je rentrai tous les étés dans notre villa d'Ombrie . L'été de mes quinze ans je fus, probablement sur l'ordre de mon père, déniaisé par une servante de ma mère. Je n'en ressentis qu'un plaisir médiocre et mon père en éprouva plus de fierté que moi. Mais les plaisirs que Servus me fit découvrir dans la piscine de nos thermes au retour d'une longue promenade me comblèrent tout autrement. Je ne sais comment mon père fut mis au courant. Que j'eusse pris du plaisir dans les bras d'un homme était accessoire que ce le fut dans ceux d'un esclave ne l'était pas. La sanction fut immédiate. Dix coups de férule pour moi ! Mais mon Servus y perdit la vie. De ce jour date mon aversion pour toute forme de rejet, d'exclusion, d'ostracisme à l'égard de toute différence. Et la disparition de toute affection pour mon père.
Mon destin bascula grâce à l'empereur Auguste.

jeudi 9 juillet 2015

Abécédaire E comme Ecriture...

...Comme écriture, écrit, écrivain. C’est un bien mystérieux triangle qui unit celui qui écrit, celui qui lit et celui qui, reliant les deux premiers, leur donne existence, le mot. Entre les trois coule l’encre, sang noir de l’écriture. Lien mystérieux. Celui qui écrit n’existe que par celui qui le lit. Le lecteur n’existe que par l’écrit. Et au centre le mot qui donne vie aux deux autres et sans qui le stylo resterait vide, la page blanche et l’œil inerte.
J’aurais pu dire M comme ‘’mot’’, mais dans mon abécédaire, M est déjà réservé à un autre mot…
Scribe, copiste, écrivain public ; celui qui écrit pour ceux qui ne savent pas écrire.
Romancier, poète, philosophe, conteur…écrivains qui écrivent pour ceux qui ne savent pas écrire.
Nous portons tous en nous, paraît-il, un roman. J’en ai porté un… Il ne verra jamais le jour. J’ai trop le sens de la beauté et du ridicule. J’ai de plus l’écriture laborieuse et douloureuse. Et je n’ai jamais eu le souffle d’un coureur de fond ! Ni même d’un sprinter ; au bout de quelques mètres je suis vidé. D’où mon exacerbation pour les écrits des autres.
Nous sommes, en tout cas moi, le produit de nos lectures, des écrits, des écrivains que nous avons aimés. Ma bibliothèque intérieure déborde de livres et de reconnaissance pour leurs auteurs et ceux qui m’ont conseillé au départ avant de me laisser la bride sur le cou.
Quand je me retourne je peux presque me souvenir des lieux et des circonstances dans lesquels je les ai lus. La comtesse de Ségur, Alexandre Dumas et Paul Féval, Sartre et Camus, Mauriac, Maurois, Gide, Cocteau, Montherlant, Paul Benoit, Roger Martin du Gard, Hugo, Musset, Baudelaire, Laitréamont, ‘’Venez à moi Apollinaire et Rimbaud avec l’ami de ma joie Charles Cros’’, Sagan, Laurent (pas Jacques mais Cecil Saint..), Hemingway, Christopher Isherwood, les sœurs Brontë, Lemmy Caution, Hercule Poirot, Sherlock Holmes et Arsène Lupin, Maurice Druon, Romain Gary… Plus tous les autres que j’ai honte d’avoir oubliés… Mais j’arrive à bout de souffle !
Il y en a certains que je n’ai pas aimés. Beaucoup même ! Je n’en parlerai pas car comme le disait le philosophe Lucien Jerphagnon, que l’on complimentait sur la clarté de sa pensée et de son style :’’On n’a pas le droit d’emmerder quelqu’un qui ne vous a rien fait’’…

samedi 4 juillet 2015

Hammams


Bouche d’ombre, puits de lumière. Chaleur et moiteur. Corps offert à la vapeur émolliente qui libère le corps des scories de la ville et récompense de la calebasse d’eau fraîche puisée dans la vasque en pierre creusée. Sous les voûtes se mêlent les sons. L’eau qui coule. Quelque part la mélodie d’une chanson d’Oum Khaltoum. Parfois le claquement sec d’une main sur un dos soumis au plaisir trouble du rite du massage. Purification des peaux. Abandon des corps, alanguissement des âmes. Semi endormissement au bord d’un bassin avec juste sur le ventre une serviette que l’on enlèvera pour plonger et laver le corps de tout ce que les pores de la peau auront exsudé. Mais l’engourdissement du corps n’empêche pas que l’esprit reste en éveil. Attentif aux bruits furtifs qui l’entourent. Glissement des pieds sur le carrelage. Casserole que l’on plonge dans la fontaine et bruit de l’eau qui tombe en cascade sur le sol. Grognement au plaisir du corps surpris par le froid. Conversations à voix basse soudainement interrompues. Le thé partagé. Dans l’obscurité des salles voisines on devine des regards qui observent. Des corps se déplacent le souffle lourd de poumons écrasés par la touffeur de l’air ; s’assoient, s’allongent près de vous avec cette impudeur équivoque des hommes entre eux.
Ces endroits n’ont rien à voir avec nos saunas occidentaux ou les spas des hôtels 5 étoiles.
Ce sont les derniers hammams du Caire où les cairotes perpétuent leur tradition plus que millénaire. Leur temps est compté. Peu à peu la lèpre ronge sur les murs, éparpillées, les anciennes splendeurs des zelliges.
Photos Pascal Meunier