Je
rentrais d’un petit déplacement de cinq jours dans le Pays de
Galles, à Penarth dans le comté de Glamorgan, auprès d’une de
mes cousines, Elizabeth, qui mariait sa fille Anne, accessoirement ma
filleule. Anne est une belle fille qui va gaillardement sur ses 35
ans ! Probablement vierge et incontestablement rousse, elle a épousé
Mortimer, un policeman d’environ 50 ans veuf et père de trois
enfants, dont deux vivaient encore chez lui. Ce mariage avait fait la
joie de tout le monde. De Mortimer d’abord qui avait trouvé une
compagne de robuste constitution qui lui tiendrait sa maison, ferait
la cuisine, repasserait ses chemises et s’occuperait, autant que de
besoin, de ses enfants. D’Anne ensuite qui allait connaître enfin
les joies et les plaisirs, du moins l’espérait-elle, de l’hymen,
de la vie conjugale et des enfants sans les douleurs de
l’enfantement. La joie d’Elizabeth enfin de voir sa fille casée.
Car Anne, malgré son grand cœur et ses bons sentiments, avait quand
même une allure un peu chevaline et des gestes brusques propres à
refroidir tout autre qu’un policeman qui en avait vu d’autres !
Le mariage avait été arrosé de bonnes pintes de bière galloise,
pour les proches d’un magnifique welsh whisky ‘’Penderyn’’
et bien sûr de cette pluie fine qui rend la campagne si verte et les
terres si grasses. Ce petit crachin m’avait accompagné tout le
long du voyage de retour jusqu’à Victoria Station et il tombait
encore quand le cab me déposa devant le 221b Baker Street. Avant de
sonner à la porte je jetai machinalement un coup d’œil aux
fenêtres du premier étage, juste le temps d’entr’ apercevoir
derrière le rideau légèrement écarté la silhouette de mon ami.
Il fit immédiatement un pas en arrière laissant retomber le fin
voilage. Madame Hudson vint m’ouvrir au bout de quelques secondes.
‘’ Ah,
Docteur Watson ! Quel plaisir de vous revoir. J’attendais votre
retour avec impatience.’’
‘’Que
se passe-t-il donc ?’’ demandai-je avec un petit sourire.
‘’C’est
lui, là-haut. Je ne m’y ferai jamais. Quand il est dans cet état,
il me fait peur. Il n’est pas sorti de chez lui depuis votre
départ. Sa porte est fermée à clé. Il refuse toute nourriture.
Même les petits scones que je lui prépare et qu’il aime tant avec
son thé. Le thé est la seule chose qu’il accepte. Je dépose le
plateau devant sa porte. Il le remet dehors quand la théière est
vide. Et quand il en veut encore, de la cuisine je l’entends hurler
:’’ Mme Hudson ! Du thé !’’ C’est peut-être un grand
homme, mais il me rendra folle’’
Je
lui tapotai doucement l’épaule pour la calmer.
‘’Par
contre, il fume ! Cinq jours sans aérer… ça doit être
irrespirable. Je sens l’odeur de tabac quand je me baisse pour
glisser son courrier sous la porte ! Et puis ce morceau de violon
qu’il joue tous les soirs à la tombée de la nuit. Vous savez
celui qui est si beau et si triste…’’
‘’La
méditation de Thaïs ?’’
‘’Oui,
c’est ça ! A chaque fois ça me fait pleurer. Comme il doit être
malheureux.’’
‘’Calmez-vous
Mme Hudson. Je suis là, tout va s’arranger. Allez donc nous
préparer un thé avec quelques scones s’il vous en reste.’’
Et
Mme Hudson s’éloigna visiblement soulagée de retourner à des
tâches qui entraient mieux dans ses responsabilités.
Je
montai l’escalier et laissai mon bagage sur le palier. Mais avant
de toucher à la poignée de la porte j’entendis une voix étouffée
mais calme dire : ‘’Watson, entrez, c’est ouvert.’’
L’atmosphère
était en effet irrespirable. Le fauteuil à oreillettes dans lequel
était assis mon ami, face à la fenêtre et dos à la porte,
disparaissait presque dans un nuage de fumée. Le tabac que fumait
Holmes d’habitude avait une odeur plutôt agréable. Mais là il
vous agressait la gorge, le nez et les yeux. Je me débarrassai
rapidement de mon manteau et m’approchai de la grande fenêtre.
‘’Holmes,
vous ne pouvez pas rester comme ça. Vous allez mourir étouffé.
Laissez-moi ouvrir la fenêtre.’’
Puis
je me retournai vers mon ami. Il était assis, légèrement affaissé.
Ses bras reposaient sur les accoudoirs, de sa main droite il tenait
sa pipe fumante. Son visage était gris, encore plus émacié qu’à
l’accoutumée, ses yeux étaient injectés de sang et son regard
fixe, aux pupilles dilatées, était fixé sur moi sans me voir ! Sa
mise était négligée, une robe de chambre mal fermée sur un pyjama
débraillé. La manche gauche de la robe de chambre était remontée
jusqu’au coude. A droite du fauteuil sur un petit guéridon
victorien en bois, un verre, quelques morceaux de coton et une longue
boite en fer blanc que je ne connaissais que trop bien. Je jetai
rapidement un coup d’œil sur le haut de la bibliothèque où il
mettait son flacon de solution à 7%. Il n’y était pas. Un regard
circulaire me le fit découvrir sur le tapis à côté des pieds,
nus, de mon ami. Cette nudité me procura un choc que je ne saurais
décrire. Elle me parût de la plus haute indécence et me révéla
l’abime de déchéance dans lequel il semblait être tombé. Je me
penchai sur lui et mes mains sur ses épaules, je me mis à le
secouer.
‘’Holmes,
mon cher ami, que se passe-t-il ? Réveillez-vous, secouez-vous. Par
Saint Georges dites-moi quelque chose’’.
Un
cliquetis de verres entrechoqués me fit lever la tête. Madame
Hudson se tenait dans l’encadrement de la porte, un plateau entre
ses mains et tremblant comme une feuille.
‘’ Eh
bien, Madame Hudson, vous n’allez pas vous évanouir ! Ce n’est
pas le moment. Posez le plateau sur la table ! Finalement nous aurons
plus besoin de café que de thé. Soyez assez gentille de nous en
préparer un. Mais pas la lavasse habituelle. Un vrai, à
l’italienne, un espresso. Prenez ce qu’il faut dans ma réserve
personnelle. (Ma carrière militaire m’avait permis de voyager dans
de nombreux pays, chacun ayant une manière particulière de préparer
le café. Et le breuvage que l’on buvait dans le Royaume-Uni était
celui qui de loin méritait le moins le nom de café.)
Madame
Hudson mit une main sur sa bouche pour étouffer un sanglot et
repartit en trottinant vers sa cuisine.
C’est
alors que je sentis une main se poser sur mon avant-bras. Je baissai
les yeux vers Holmes. Son regard reflétait un profond désespoir. Et
il répéta tout doucement :
‘’Watson,
Elle est revenue !...’’
‘’Watson,
Elle est revenue !’’
‘’Mais
qui donc Holmes ?’’
‘’Gabrielle
Valladon !’’
Et
là c’est moi qui ai eu besoin de m’asseoir. Ainsi donc pour la
troisième fois elle réapparaissait dans la vie de Sherlock Holmes.
A suivre... demain...
A suivre... demain...
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