Incipit 40 - Guillaume Apollinaire - Les onze milles verges
Bucarest
est une belle ville où il semble que viennent se mêler l’Orient
et l’Occident. On est encore en Europe si l’on prend garde
seulement à la situation géographique ; mais on est déjà en
Asie si l’on s’en rapporte à certaines mœurs du pays, aux
Turcs, aux Serbes et autres races macédoniennes dont on aperçoit
dans les rues de pittoresques spécimens. Pourtant c’est un pays
latin, les soldats romains qui colonisèrent le pays avaient sans
doute la pensée constamment tournée vers Rome, alors capitale du
monde et chef lieu de toutes les élégances. Cette nostalgie
occidentale s’est transmise à leurs descendants : les
Roumains pensent sans cesse à une ville où le luxe est naturel, où
la vie est joyeuse. Mais Rome est déchue de sa splendeur, la reine
des cités a cédé sa couronne à Paris et quoi d’étonnant que,
par un phénomène atavique, la pensée des Roumains soit toujours
tournée vers Paris, qui a si bien remplacé Rome à la tête de
l’univers !
De
même que les autres Roumains, le beau prince Vibescu songeait à
Paris, la Ville-lumière, où les femmes, toutes belles, ont toutes
aussi la cuisse légère. Lorsqu’il était encore au collège de
Bucarest, il lui suffisait de penser à une Parisienne, à la
Parisienne, pour bander et être obligé de se branler lentement,
avec béatitude. Plus tard, il avait déchargé dans maints cons et
culs de délicieuses Roumaines. Mais il le sentait bien, il lui
fallait une Parisienne.
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