Qui
était-elle? Qui était cette femme? La plus portraiturée au monde.
La femme aux 220 visages. L'égérie des années folles? La Garçonne?
La maîtresse de la scandaleuse Yvonne Brémond d'Ars? La patronne du
cabaret le plus couru de l'entre deux guerres? L'interprète houleuse
des chansons de marins. L'icône, la chanteuse scandaleuse, des
amours saphiques comme on disait à l'époque? La fulgurante passion
d'un aviateur beau comme un dieu? L'amie de tout ce qui comptait
alors dans le milieu des arts à Paris? Une femme sans tabou et
prodigieusement libre.
Descendante
d'un ''corsaire breton par la cuisse gauche'', elle finit
''Amirale'' au bord de la Méditerranée. De la tour Solidor, près
de Saint Malo au Vieux Bourg de Cagnes sur Mer, ce furent plus de 80
années d'une quête éperdue de reconnaissance, menée tambour
battant, entre défi et provocation.
Elle
était née de père inconnu. Sa mère était la femme de chambre de
Robert Henri Surcouf, avocat, député de Saint Malo, descendant du
corsaire, armateur … et amateur d'amours ancillaires. Pour
régulariser sa situation sa mère épousa en 1907 un brave monsieur
Rocher qui reconnut la petite Suzanne. Ils s'installèrent dans le
quartier de Saint Servan, à l'ombre de la tour... Solidor.
Et
elle a pas les deux pieds dans le même sabot la Suzanne. A 17 ans,
munie de son permis de conduire, elle arrive à Paris. Et c'est pas
Bécassine qui débarque Gare Montparnasse. On la retrouve très vite
chauffeur des états-majors et on la voit conduire des ambulances sur
les fronts de l'Oise et de l'Aisne. A la fin de la guerre elle décide
de rester à Paris. Déjà, elle ne passe pas inaperçue. Elle
souhaite devenir mannequin chez Lanvin.
Très
vite , en 1920, elle va littéralement se faire kidnapper, enlever
par Yvonne de Brémond d'Ars. C'est l'ANTIQUAIRE
du faubourg Saint Honoré, grande famille, grosse fortune, pouvant
donc assumer une vie ''scandaleuse''. Garçonne avant la lettre, elle
porte costume, cravate, œillet à la boutonnière, cigare aux
lèvres. Elle va s'enflammer pour cette jeune beauté sculpturale à
l'état brut. Elle va l'initier au métier d'antiquaire, la présenter
au Tout-Paris, la transformer physiquement.
Pendant
10 ans Suzanne et son amante vont
défrayer la chronique entre Paris et Deauville. Elle apparaît en
couverture des magazines de mode les plus en vue. Elle apprend le
chic l'élégance avec Paquin, Poiret, Patou et Chanel. Elle pose
pour des photographes et des peintres. Elle ne se fait pas payer!
Juste un portrait d'elle. Fine mouche elle va ainsi se constituer une
collection de plus de 200 portraits d'elle par les plus grands
peintres de son époque. Et c'est paraît-il Van Dongen qui lui
aurait conseillé de chanter. Bon conseil, d'autant plus que sa
liaison avec l'antiquaire touche à sa fin.
En
1931 elle prend le nom de Suzy Solidor et elle ouvre au 12 rue Sainte
Anne un cabaret ''chic et cher'' la Vie parisienne’’ qu'elle
tapisse de ses portraits . C'est un des premiers cabarets
lesbiens, mais hétéro-friendly, de la capitale. [Cet endroit
deviendra dans les années 70 le Piano Club, tenu par la légendaire
Isolde, pour ceux qui s'en souviennent]. Parrainé par Jean Cocteau
il va devenir un lieu incontournable des nuits parisiennes. Devenue
chanteuse, elle est passée avec succès à l'Européen et à
l'Alhambra, celle qu'on appelle ''la fille aux cheveux de lin''
envoûte ses spectateurs avec sa voix chaude et sensuelle dans un
répertoire mêlant chansons de marins... et chansons où elle ne
cache pas ses préférences sexuelles.
Elle
est l'icône des lesbiennes. On ne parle plus de saphisme, mais de
solidorité, de solidorisme!! C'est un vrai harem qu'elle traine
derrière elle. Ce qui ne l'empêchera pas, en 35, de vivre une
grande passion avec Jean Mermoz. Fallait les voir ces deux là!
La descendante de Surcouf et l'Archange de l'Aéropostale. On aurait
dit deux statues d'Arno Breker. Ils attiraient tous les regards,
attisaient toutes les envies, exacerbaient tous les désirs.
Elle
fait également du cinéma. Elle tourne dans la Garçonne (mauvais
film, mais bon scandale) où elle console, avec Arletty et Edith
Piaf, Marie Bell de l'inconstance d'un amant.
Le
succès de son cabaret ne se démentira pas pendant toute la période
de l'Occupation, où elle accueillera de nombreux officiers
allemands, dont certains auraient été ses amants. Comme beaucoup,
elle passera à la Libération devant le comité d'épuration des
artistes et recevra un blâme et une interdiction d'exercer pendant
un an. Est-ce d'avoir continué à travailler durant l'occupation,
d'avoir eu un ou deux amants allemands, d'avoir créé la version
française de Lili Marlène et/ou d'avoir chanté, au grand plaisir
des allemands, sur les ondes de radio-Paris Au 31 du mois d'août
vieille chanson de marins célébrant une belle raclée, donnée par
son aïeul Surcouf, à la marine anglaise?
Elle
va céder son cabaret à son amie Colette Mars, actrice, chanteuse, reine de la nuit et lesbienne affichée.
Suzy
Solidor reviendra à Paris en 1949 pour ouvrir un nouveau cabaret,
rue Balzac, Chez Suzy Solidor. Mais ce quartier est moins
''canaille'' que la rue Sainte Anne et Suzy Solidor devenue une
institution est moins sulfureuse.
Suzy
Solidor ferme son cabaret en 1960. Elle s’installe à
Cagnes-sur-Mer dans les Alpes-Maritimes. Elle y ouvre un magasin
d’antiquités ainsi qu'un petit cabaret baptisé Chez Suzy,
toujours entourée de ses tableaux. En 1973 elle cédera une
quarantaine de ses toiles au musée du Haut de Cagnes. Le reste sera
dispersé à sa mort en 1983.
C'est
Jean Cocteau qui, encore une fois trouvera les mots justes :
''...Lorsque
Suzy s'appuie au piano et tire d'elle une voix qui sort des zones les
plus intimes de l'être, lorsqu'elle dompte cet élément qui donne
le trac comme les vagues donnent le mal de mer, je m'incline...
Mademoiselle Solidor montre ses poses de forçat de Puget, d'esclave
de Michel-Ange, et la petite salle attentive acclame sa voix hâlée''.
Bien évoquée !
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