J’avais
passé près de huit mois à Paris chez Charles et Féli, papy et
mamy, mes grand'parents maternels. (Rue Lepic 1 , Rue Lepic 2) Mes parents, toujours au Tchad, avaient souhaité que je passe
quelques mois chez mes grand’ parents paternels jusqu’à leur
retour. C’est ainsi qu’en janvier 51, Félicie vint au Mans
confier son trésor sacré à bonne maman, Guyonne, et bon papa,
Joseph.
Félicie
avait, certes, commencé à me dégrossir un peu l’esprit en
m’apprenant à lire, à écrire et à compter. Mais dès mon
arrivée au Mans les choses plus sérieuses allaient débuter ! A
bientôt sept ans, il devenait plus que temps que j’aille à
l’école. Dans ma famille paternelle la scolarité était une chose
assez simple. Pour les filles, le primaire c’était l’institution
St Julien et le secondaire N.D. de Sion. Pour les garçons on
démarrait par l’école Maupertuis et pour l’entrée en 6ème on
passait au collège Ste Croix.
Je
fis donc mon entrée à Maupertuis à la reprise des cours en
janvier. (Cette mauvaise habitude de commencer mon année scolaire au
milieu de celle des autres m’a poursuivi pratiquement toute ma
scolarité…). Je me revois très bien arriver, accompagné du
directeur Mr Demoy, dans une salle où trônait un gros poêle à
charbon. Une vingtaine d’écoliers en blouse grise s’étaient
levés dès notre entrée.
‘’Asseyez-vous
mes enfants. Je vous présente un nouveau petit camarade. Il est un
peu dépaysé, il arrive d’Afrique’’.
Le
brouhaha fut immédiat. Le claquement sec d’une règle sur un
bureau sur l’estrade le fit cesser.
‘’Soyez
gentils avec lui. Il s’appelle Renaud.’’
Et
j’entends très distinctement une voix aigrelette fuser du fond de
la salle :’’ Quat’ chevaux’’. Rires, raclements de pieds,
quat’ chevaux, quat’ chevaux… Nouveau claquement de règle,
nouveau silence. En partant il me confie à mon instituteur, Monsieur
Xavier. Le premier homme, en dehors de ma famille, que j’ai aimé.
Nous devons être de dizaines, des centaines à lui devoir beaucoup.
Je me suis bien adapté à ce nouveau milieu. Je n’avais jamais eu
autant d’amis. On a continué un moment à m’appeler ‘’quat’
chevaux’’ et puis on est passé à autre chose.
Il
y avait chaque matin un rituel dont le souvenir me fait monter
l’émotion aux yeux. Bonne maman avait fait avec moi trois ou
quatre fois le chemin de la maison à l’école pour que je puisse y
aller seul. Sans grand danger, sauf devant la maison il n’y avait
pas de rue à traverser. Ainsi donc tous les matins à 9h moins 10 je
tirais le lourd portail qui donnait sur la rue. Ma grand’ mère qui
avait ouvert la fenêtre du petit salon, regardait avec moi à droite
et à gauche, et me disait : ‘’ Tu peux y aller mon petit
Renaud’’. Je traversais en courant pour me retrouver sur le
trottoir d’en face, devant la petite église de la Visitation. Je
remontais sur 20 mètres la rue Maignan en me retournant deux fois
pour dire au revoir à ma grand’ mère. Et puis juste avant de
tourner à gauche dans la rue Ste Croix je me retournais une dernière
fois et je criais : ‘’BONNE MAMAN ! JE RENTRE AVEC LES RANGS !’’
Elle me faisait un signe de la main pour me faire comprendre qu’elle
avait entendu. Content de l’avoir rassurée je descendais la rue
Ste Croix jusqu’à l’avenue Léon Bollée. Là, à gauche puis
encore à gauche pour entrer dans l’impasse Maupertuis.
A
midi, sous la surveillance de trois instituteurs, des rangs se
formaient pour aller déposer au plus près de chez eux les enfants.
Le même rituel se reproduisait l’après-midi. C'était le
ramassage scolaire avant la lettre.
Jamais
ma grand’ mère ne m’a fait défaut pour un de mes départs pour
l’école. Elle devait vouloir être sûre que je rentrais bien avec
les rangs.
J’étais
à Maupertuis depuis trois semaines. Un matin ma grand’ mère me
dit : ‘’ Ce soir, Renaud, tu ne rentres pas avec les rangs. Je
viendrai te chercher à l’école.’’ A sept ans, on n’aime pas
beaucoup qu’on change ses habitudes. Et c’est un peu bête que je
me retrouvais au coin de la rue Ste Croix. Je me retournais une
dernière fois vers ma grand’ mère à sa fenêtre et, ne sachant
que dire, je haussais les épaules en écartant légèrement les
bras. Le soir à cinq heures et demi, les rangs étaient partis et
j’étais assis dans le couloir en face du bureau du directeur avec
qui ma grand’ mère avait rendez-vous. Ce n’est que des années
plus tard qu’elle m’a raconté, avec un grand sourire, cet
entretien.
‘’ Alors,
monsieur, comment se comporte notre petit Renaud ?’’
‘’ Bien,
madame, bien. Il est très sage. Un peu rêveur parfois, on peut le
comprendre. Mais il s’adapte bien à son nouvel environnement et à
ses petits camarades.’’
‘’ Et
pour ce qui est de son travail ?’’
‘’Oh
! bien sûr il a un peu de retard. Mais il est intelligent, il est
assez mûr pour son âge, il comprend vite. Il le rattrapera son
retard.’’
‘’ Donc,
vous êtes satisfait de lui ?’’
‘’ Mais
tout à fait ! ‘’
‘’Alors
comment se fait-il que depuis un mois il n’ait pas eu une médaille,
ni même une image pour le récompenser et l’encourager ? ‘’
‘’En
effet ! Je me demande comment cela a pu nous échapper’’ Il avait
légèrement rougi. Mais je peux vous assurer que samedi prochain il
aura sa médaille, peut-être pas la médaille d’honneur pour la
première fois, et ses images.’’
C’est
ainsi que le dimanche suivant j’allais à la grand’ messe de la
cathédrale, encadré à main gauche par bonne-maman et à main
droite par bon-papa, en arborant sur ma poitrine une médaille avec
son ruban bleu que j’aurai le droit de porter pendant une semaine.
Trop mimi ! Avec street view, on suit le petit Renaud; l' avenue devait être impressionnante.
RépondreSupprimerbelles années de la vie
RépondreSupprimer