Le
18 mai 1922, les deux écrivains assistaient à un dîner mondain
donné, au Majestic, par les mécènes Sydney et Violet Schiff en
l'honneur de Stravinsky, de Diaghilev et des membres des Ballets russes,
pour fêter la première du ''Renard'' de Stravinsky.
Joyce,
qui arriva en retard, n'était pas en habit, et Proust garda son
manteau de fourrure toute la soirée.
Ce
qui se passa quand on les présenta fut rapporté plus tard par Joyce
à l'un de ses amis:
"Notre
conversation s'est résumée au mot "non". Proust m'a
demandé si je connaissais le duc d' Untel. J'ai répondu "non".
Notre hôtesse a demandé à Proust s' il avait lu telle ou telle
partie de Ulysse. Proust a répondu "non". Et ainsi de
suite."
Après
le dîner, Proust monta dans son taxi avec ses hôtes, Violet et
Sydney Schiff. Sans rien demander, Joyce se joignit à eux. Son
premier geste fut d'ouvrir la fenêtre et son second d'allumer une
cigarette, deux gestes qui pour Proust pouvaient se révéler
mortels. Pendant le trajet, Joyce observa Proust sans prononcer une
parole, tandis que celui-ci bavardait sans arrêt mais n'adressait
pas un mot à Joyce. Lorsqu'ils arrivèrent à son appartement, rue
Hamelin, Proust prit Schiff à part et le pria de demander à Mr
Joyce d'accepter que le taxi le ramène chez lui.
Ce
que fit le taxi. Les deux hommes ne devaient jamais se revoir.
Si
l' anecdote a un côté absurde, c'est parce qu'on pense à ce que
les deux écrivains auraient pu se dire. Il n'est pas rare qu'une
conversation finisse en cul-de-sac, mais il est plus surprenant et
beaucoup plus regrettable que cela se produise entre les auteurs de Ulysse et d' A la recherche du temps perdu quand ils se retrouvent
sous les lustres du Majestic.
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