Depuis que la chère Léo Marjane est passée me voilà devenue la doyenne des chanteuses françaises...
Je suis née le 31 décembre
1917!! Certains disent en 1916. Ce sont des galapiats... A un jour près, je
naissais en 1918!! On ne plaisante pas avec ça! Mais vous savez, au fond de
moi, je m'en fous. Je vais bientôt doubler le siècle. J'ai bon pied bon oeil. Mon secret?
Aimer la vie. Profiter au maximum de tout ce qu'elle peut nous apporter. Et je
ne m'en suis pas privée. Outre mes talents (j'espère) de comédienne et de
chanteuse, les gens me reconnaissent du tempérament et un fichu caractère. Du
tempérament? C'est vrai que je n'en ai jamais manqué. Tout ce que j'ai fait je
l'ai toujours fait avec passion. Dans ma vie, ma carrière, mes amours. Certains
m'accordent même ''un'' tempérament!! J'assume! Héhéhé.
Quant à mon caractère,
pour paraphraser Michel Simon il vaut mieux avoir un sale caractère que pas de
caractère du tout. Et c'est vrai que je n'ai jamais laissé personne me marcher
sur les pieds. On me l'a fait payer d'ailleurs. A partir des années 60, j'ai un
peu été laissée de côté. Mais cela ne m'a pas empêché de garder mon
franc-parler. Je dis clairement que si on m'a fait trop rarement travailler
c'est sans doute pour me faire payer à la fois de ne pas appartenir à des
chapelles, les aventures masculines auxquelles j'ai parfois sacrifié ma carrière,
et surtout, mon refus de flirter quand il aurait fallu le faire. Autrement dit,
je n'ai jamais ''couché'' autrement que pour le plaisir.
Mais je ne me plains pas,
j'ai eu une belle carrière.
A 16 ans j'ai commencé à
faire de la figuration dans des films dont les vedettes étaient Raquel Meller,
Florelle, Mayol, Armand Bernard...Mais là je vous parle d' un temps.....
Et puis j'ai fait mes
classes sur scène avec ma jolie voix de soprano léger. J'ai fait les Bouffes
Parisiens, Bobino, l'Etoile, l'Européen. Et puis ''La vie parisienne'', le
cabaret ''chic et cher''de Suzy Solidor, rue Sainte Anne. Sacré tempérament
aussi que Suzy Solidor. Elle aurait bien aimé savoir si on avait d'autres
points communs que notre prénom!!! Mais non!! Mais elle n’était pas que... la
belle Suzy ! Fallait voir le couple qu'elle formait avec Mermoz...La
descendante de Surcouf et l'Archange de l'Aéropostale...
Mais le vrai départ de ma
carrière date de 1941 avec le film de Georges Lacombe ''Le dernier des six''.
C'est là que j'ai rencontré Pierre Fresnay et Yvonne Printemps. Ah Yvonne!! Un
modèle. Déjà toute petite je l'admirais. Je ne manquais pas de le lui rappeler
chaque fois que je la voyais! On ''s'adorait'' mais nous ne serions pas parties
en vacances ensemble. Question de ''tempérament'' et de ''caractère''. Mais la
grande rencontre ce fut avec Henri-Georges Clouzot. Il était scénariste du
film. C'est grâce à lui que j'ai pu me faire un nom dans le monde du cinéma. Il
a créé pour moi le personnage de Mila Malou, compagne gaffeuse du commissaire
Wens. Ce rôle de Parigote délurée, rouspéteuse et gouailleuse me va comme un
gant. Le public est ravi. Henri-Georges et moi on ne se quitte plus; Il va
réaliser '' L'assassin habite au 21'' où je reprends le rôle de Mila Malou et
Pierre Fresnay celui de l'inspecteur Wens. Quel plaisir ce tournage. Et ces
partenaires...Jean Tissier, Pierre Larquey, Noël Roquevert... Un rêve! Le film
eut d'ailleurs un grand succès et j'étais enfin reconnu comme actrice.
Je m'étais rendu compte
qu'Henri-Georges n'était pas toujours facile dans la vie privée!!! Mais sur un
plateau son souci de la perfection en faisait un quasi tyran!
J'ai fait trois films
avec Louis Jouvet et les critiques ont reconnu que je ne m'en sortais pas trop
mal face au patron. Le premier c'était ''Copie conforme''. Le deuxième réalisé
dans la foulée c'est ''Quai des orfèvres'', puis ''Lady Paname''
Mais c'est ''Quai des
orfèvres'' qui reste MON film!! Jenny Lamour et son ‘’tra la la me’’ collent
aux basques!! J'ai eu beau chanter une bonne partie du répertoire de l'opérette
je reste pour beaucoup l'interprète d'''Avec son tralala'' et''Danse avec
moi''.
Je garde de ce tournage un
souvenir de grande tension. Quand H-G n'obtenait pas ce qu'il voulait, ça
pleuvait. Les engueulades et les coups...Simone (Renant NDLR) et moi on en a
reçu quelques uns. Pas très violents mais quand même. Il en a gardé l'habitude.
La pauvre Véra (Clouzot NDLR) en a su quelque chose et parlez à Brigitte des claques
reçues dans ''La Vérité''. Quant au cher Bernard (Blier toujours NDLR) dans une
scène on devait lui faire une transfusion à la suite de sa tentative de
suicide. Eh bien pour faire plus authentique on lui en a fait une vraie... Lui
qui avait une sainte trouille des piqûres... J'en ris aujourd'hui... Le seul
épargné était Jouvet!!! Je l'imagine mal recevant une paire de baffes!!
Mais le résultat est là.
Un grand film. Et une séparation.
Henri Jeanson m'a donné un
joli rôle dans ''Lady Paname''. Mais le public ne fut pas au rendez-vous. Ma
carrière cinématographique se mit à tourner au ralenti malgré quelques grands
films : ''Gervaise'' de René Clément, ''Rocco et ses frères'' de Visconti en
1960. Il faudra attendre 1973 pour que je refasse un rôle conséquent dans
''Rabbi Jacob'' . Et j'ai été la dernière partenaire de… Laurel et Hardy dans
''Atoll K''
Me restaient le disque et
la scène. En particulier la production de ''La vie parisienne'' avec la
Compagnie Renault-Barrault et une reprise des ''Trois Valses''. Des
enregistrements de J. Offenbach...
Quelques télévisions,
quelques tournées au Canada (heureusement qu'ils sont là!!!) et au début des
années 80, rideau!
Il y a 5/6 ans on a sorti
3 CD reprenant à peu près tout ce que j'ai pu enregistrer!! Joli charme!
En 2007 j'ai reçu les
insignes de chevalier de la Légion d'honneur... à 90 ans. Il était temps.
Note de Charlus : ‘’ Madame, je
vous aime…’’