Rares
sont les artistes, américains ou non, à pouvoir se vanter d’avoir
donné leur nom à une ville des Etats-Unis. Eh bien, moi oui !
Seules quatre vedettes ont eu l’honneur d’une émission spéciale
de timbres-poste de la part de l’US Post Office. Et j’en fais
partie. Pendant près de 30 ans j’ai eu le Metropolitan Opera de
New York et l’Amérique lyrique à mes pieds. Et pourtant je suis
française née à Draguignan ! Je suis, je suis …Lily Pons !
Papa
était imprimeur et maman, d’origine italienne, couturière. On
s’aperçut très vite qu’outre le fait que j’étais un joli
brin de fille, j’avais également des talents artistiques
prononcés. En particulier pour le piano. En 1913, à 15 ans,
j’obtiens un premier prix au Conservatoire de Paris. Après la
guerre, en 1920, je fais mes premiers pas sur scène, non pas comme
pianiste…mais dans une revue des Variétés emmenée par Max
Dearly. C’est à ce moment-là que je me décide à faire
travailler ma voix. Je vais y mettre le temps et ce n’est qu’en
1928, à 30 ans, que je fais mes débuts sur une scène lyrique. A
Mulhouse, mais pas dans n’importe quel rôle, Lakmé, et pas avec
le premier chef d’orchestre venu, Reynaldo Hahn. Grand succès
public et joli scandale. Je portais une robe d’une audace inouïe
pour l’époque, plus proche des Folies Bergère que d’une scène
lyrique, puisqu’elle dévoilait un ventre plat et un nombril loin
des clichés des cantatrices de l’époque.
Pendant
trois ans je vais faire la tournée des opéras de province
Montpellier, Cannes, Toulouse, Lyon, Bordeaux sans jamais faire mes
débuts à Paris…
C’est
un ténor italien, Giovanni Zenatello, qui va me conseiller de tenter
ma chance aux Etats Unis et qui va me recommander au directeur du Met
de New-York. Je vais y faire des débuts fracassants en 1931 dans mon
rôle fétiche, que je vais chanter plus de 90 fois, Lucia di
Lamermoor avec comme partenaire, excusez du peu Beniamino Gigli et
Ezio Pinza… Certains ont fait la fine bouche en estimant que ma
Lucia était plus évanescente que réellement touchée par une folie
tragique et que l’étroitesse de mon répertoire sur scène (dix
rôles, pas un de plus) dénotait un manque d’ambition de ma part.
Mais cela a suffît pour faire de moi une idole aux E.U. Je devins
même un symbole. Le 28 décembre 1940, les E.U. annonçaient à la
radio qu’ils se plaçaient politiquement et culturellement aux
côtés des européens dans le conflit qui les opposaient à
l’Allemagne nazie. Le soir même je chantais la Fille du régiment
au Met. A la fin de l’opéra je m’avançais sur le devant de la
scène et entonnais, drapée dans une bannière tricolore, une
Marseillaise qui n’était pas prévue dans la partition de
Donizetti. L’effet fut foudroyant et annonçait une autre
Marseillaise. Celle que le gouvernement français m’avait demandé
de chanter, bien que naturalisée américaine en 1941, dans un
concert de gala donné au Palais Garnier pour la libération de
Paris. Cette Marseillaise diffusée à l’extérieur du Palais
Garnier a déclenché un tel enthousiasme qu’il fallut sortir un
piano sur le balcon de l’Opéra pour que je puisse la rechanter
devant 250 000 parisiens en folie. Je fus d’ailleurs avec Marlène
Dietrich la seule artiste à soutenir les troupes américaines sur le
front français en hiver 44. Ce qui m’a valu, comme à Marlène et
Joséphine Baker et pour les même raisons, d’être décorée de la
Légion d’honneur.
Une
étoile sur le Hollywood Walk of Fame ne consacre pas une tentative
ratée et insignifiante d’une carrière cinématographique, mais 28
ans d’un règne sans partage sur le Met et dans le cœur des
américains pour qui j’étais, outre la diva aux notes cristallines
popularisée par la radio et les disques, l’incarnation de
l’élégance et du vrai ‘’chic parisien’’.
J’ai
quitté le Met en 1959. Date à laquelle j’ai divorcé d’André
Kostelanetz, sorte de Franck Pourcel à l’échelle américaine,
avec qui j’ai fait des tournées de concert très populaires et qui
a beaucoup aidé à ma notoriété. Mais c’est avec le rôle de mes
débuts, Lucia di Lamermoor, que je ferai mes adieux à la scène en
1962 avec pour partenaire… Placido Domingo. De Beniamino Gigli à
Domingo…qui peut en dire autant !
Et
si c’est à Dallas que je suis morte en 1976, c’est à Cannes,
‘’la ville de mon cœur’’, que je suis enterrée. Et quand je
chantais ‘’Home, sweet home’’ c’est à ces 2m² de terre
française que je pensais.