Le
seul endroit de la maison d'où l'on pouvait voir la cathédrale
étaient les toilettes qui se cachaient derrière une porte dérobée
dans la courbure de l'escalier entre le premier et le deuxième
étage. L'endroit était réservé aux enfants. On ne disait pas
toilettes ou petit coin mais :''Bonne maman je vais à la moitié de
l'étage...'' C'est là que j'ai appris les premiers rudiments de
l'histoire de France. Assis sur la cuvette, les coudes sur les genoux
je lisais sur un grand tableau sur le mur d'en face, l'histoire des
rois qui ''en mille ans ont fait la France'' des Carolingiens à la
chute du second empire''. Depuis ce temps là, ces endroits ont
toujours été pour moi des lieux de lecture et de méditation. Mais
je m'égare!
Or
donc, en montant sur un petit escabeau de 3 marches on pouvait
apercevoir la Cathédrale à travers un oeil de boeuf. Perchée sur
son promontoire elle dominait la ville et impressionnait par son
aspect imposant. Mais l'intérieur, à l'inverse était tout en
finesse, élégance, élévation. C'est là que m'est venu le goût
du spectacle, du grand spectacle, de la super production...Les grand'
messes solennelles, type dimanche de Pâques, étaient grandioses! Je
ne parle pas du décor... La mise en scène c'était aussi bien que
du Cecil B. de Mille, la figuration que ''Quo vadis'', quand les
grandes orgues tonnaient c'était mieux que le Dolby stereo et les
costumes n'avaient rien à envier à ceux de Jean-Louis, Edith Head
ou Helen Rose... Et puis il y avait l'ordonnateur de ces fastes et de
ces pompes, l'évêque-archevêque du Mans: Georges cardinal Grente.
Dans
mon souvenir, c'était un homme de petite taille , au visage aigu,
pointu, au regard perçant et à la personnalité très forte. Il
attirait les regards.
Je
le revois descendre la grande nef, précédé de douze enfants de
chœur en robe rouge et surplis blanc, balançant leurs encensoirs à
grandes volées. Il marchait à petits pas dans sa chasuble dorée,
les lèvres pincées, la tête droite sous sa mitre. Même du haut de
son mètre soixante il semblait vous toiser. Tenant sa crosse de
pasteur de la main gauche, il distribuait des bénédictions de la
droite et parfois tendait sa main gantée à une de ses brebis pour
qu'elle baisât l'anneau d'améthyste qu'il portait à l'annulaire.
J'ai eu ce ''privilège''. J'en ai gardé une éraflure sur le bout
du nez pendant une semaine!!! Il était suivi d'une cohorte de curés,
de prêtres, de vicaires, de diacres, de sous diacres, une vraie garde prétorienne... Je
remarquais, déjà, que certains étaient très beaux et portaient
bien la soutane... Bref ça en jetait, ça avait de la gueule. Son
éminence savait y faire.
C'était
une quasi légende, prince de l'église, cardinal, ami de Pie XII,
historien, essayiste, grand voyageur, spécialiste de la question du
Proche Orient, membre de l'Académie française, intelligent,
brillant, mieux... cynique... Sujet à polémiques pour des écrits
et des prises de position parfois contestables.
Mais
c'est le revers de cette médaille, que j'ai découvert plus tard,
qui m'a amusé.
Nommé
évêque du Mans il a installé ses appartements dans un superbe
hôtel particulier face à la cathédrale. Cette maison avait
appartenu au 17ème siècle à un poète à l'esprit brillantissime,
mécréant et libidineux, Paul Scaron, époux de Françoise d'Aubigné
marquise de Maintenon, future épouse de Louis XIV. Rien de bien
méchant.
Plus
savoureux...A son arrivée au Mans le quartier de la cathédrale
était très mal famé et des femmes de mauvaise vie et de petite
vertu troublaient les fidèles quand ils allaient à l'office et
surtout quand ils en revenaient. Il décida alors de racheter ces
''maisons'' pour les détruire. Une fois l'affaire faite les services
des monuments historiques s'opposèrent à la destruction et
classèrent tout le quartier. Les occupantes de ces maisons
continuèrent à verser leurs loyers à l'archevêché, faisant de
celui-ci un des grands proxénètes de France!! Paradoxal pour
quelqu'un qu'on commençait à appeler ''tata Georgette''.
On
raconte également, (mais que ne raconte-t-on pas? Surtout les
journalistes du Canard enchainé) que notre éminence, pour préserver
la douceur de sa peau, se faisait tailler (sic) des petites culottes
en soie par....les petites soeurs de la Visitation! Je n'aurais
jamais cru que pendant que je luttais contre mes angoisses nocturnes,
juste de l'autre côté de la rue des nonnes cousaient des petites
culottes en soie!!
Hi hi ... je vois sur wikipedia que "Le Canard Enchainé" a publié l'info sur les maisons closes du coup "(...) (le prélat) fit un procès mais le perdit, le tribunal estimant qu'il n'y avait pas diffamation mais simple plaisanterie" .. Sacrée Tata Georgette !!
RépondreSupprimerSautillant, vivifiant, votre style loin d'être vénal, bondit de syllabes en syntaxe, sur de belles vagues d'humour vernal. Que j'aime les entrechats de votre plume ! De plus, grand merçi de nous avoir présenté "Tata Georgette" qui, mon grand père nous disait, se régalait de maigres en carême, fleurant bon brochets et poulardes...Ah les indulgences !
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