mardi 22 septembre 2015

Maldoror



Maldoror
Mal d'horreur
Mâle odeur
Mâle ardeur
Vertige de l'horreur à travers les catacombes obscures de la vie
Gentleman vampirique,
Ténébreux hystérique
Aux yeux spleenetiques
Géant des tempêtes des océans hideux, grand voyant de l'abîme
Verge vipérine, poule de Cochinchine
Chauve-souris, araignée, sangsue, le poulpe et le pou
Ecriture de larme et de sang
Beau comme la rencontre fortuite d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection
Debout! Qui êtes-vous Ducasse Isidore
Caché sous ce faux nez, ce nom de Maldoror!


 
Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau, couverte de pus jaunâtre. Je ne connais pas l’eau des fleuves, ni la rosée des nuages. Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et les exhalaisons de mon cadavre (je n’ose pas dire corps) ne le nourrissaient abondamment ? Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa langue, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive. Mais, quand un parti déjoue complètement les ruses de l’autre, ils ne trouvent rien de mieux que de ne pas se gêner, et sucent la graisse délicate qui recouvre mes côtes : j’y suis habitué. Une vipère méchante a dévoré ma verge et a pris sa place : elle m’a rendu eunuque, cette infâme. Oh ! si j’avais pu me défendre avec mes deux bras paralysés ; mais, je crois plutôt qu’ils se sont changés en bûches. Quoi qu’il en soit, il importe de constater que le sang ne vient plus y promener sa rougeur. Deux petits hérissons, qui ne croissent plus, ont jeté à un chien, qui n’a pas refusé, l’intérieur de mes testicules : l’épiderme soigneusement lavé, ils ont logé dedans. L’anus a été intercepté par un crabe ; encouragé par mon inertie, il garde l’entrée avec ses pinces, et me fait beaucoup de mal ! Deux méduses ont franchi les mers, immédiatement alléchées par un espoir qui ne fut pas trompé. Elles ont regardé avec attention les deux parties charnues qui forment le derrière humain, et, se cramponnant à leur galbe convexe, elles les ont tellement écrasées par une pression constante, que les deux morceaux de chair ont disparu, tandis qu’il est resté deux monstres, sortis du royaume de la viscosité, égaux par la couleur, la forme et la férocité. Ne parlez pas de ma colonne vertébrale, puisque c’est un glaive.

2 commentaires:

  1. Terrible ! Passionnant 19ème siècle qui nous a ouvert les portes.

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  2. Si une personne, je ne parle pas de toi bien sûr, a pu découvrir Lautréamont à travers ce texte, ce sera pas mal... Je l'ai lu pendant mon service militaire. Ce fut un choc... J'avais été anéanti par la phrase ( je m'en souviens encore) Ô pédérastes incompréhensibles, ce n'est pas moi qui lancerai des injures à votre grande dégradation, qui viendrai jeter le mépris sur votre anus infundibuliforme... Je me suis précipité sur mon petit Larousse pour savoir ce que ce mot voulait dire.
    J'en relis de temps en temps quelques pages mais ce n'est plus ça.

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