Premiers mots d'un manuscrit, d'un ouvrage. d'un roman.
Si ces incipit vous rappellent des souvenirs, vous donnent envie d'y retourner ou d'aller plus loin c'est parfait.
Incipit n°21
Gabriel Garcia Marques - Cent ans de solitude
Gabriel Garcia Marques - Cent ans de solitude
Bien des
années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia
devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena
faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une
vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière
dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches,
énormes comme des oeufs préhistoriques. Le monde était si récent que beaucoup
de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les
montrer du doigt. Tous les ans, au mois de mars, une famille de gitans
déguenillés plantait sa tente près du village et, dans un grand tintamarre de
fifres et de tambourins, faisait part des nouvelles inventions. Ils
commencèrent par apporter l'aimant. Un gros gitan à la barbe broussailleuse et aux
mains de moineau, qui répondait au nom de Melquiades, fit en public une
truculente démonstration de ce que lui-même appelait la huitième merveille des
savants alchimistes de Macédoine. Il passa de maison en maison, tralnant après
lui deux lingots de métal, et tout le monde fut saisi de terreur à voir les
chaudrons, les poêles, les tenailles et les chaufferettes tomber tout seuls de
la place où ils étaient, le bois craquer à cause des clous et des vis qui
essayaient désespérément de s'en arracher, et même les objets perdus depuis
longtemps apparaissaient là où on les avait le plus cherchés, et se trainaient
en débandade turbulente derrière les fers magiques de Melquiades. « Les
choses ont une vie bien à elles, clamait le gitan avec un accent guttural; il
faut réveiller leur âme, toute la question est là. »
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