Elle
entendît à peine les trois coups frappés à la porte. Il n'avait
pas perdu de temps. Elle avait dit une demi-heure. L'exactitude
n'était pas la politesse que des rois. Elle ouvrit la porte.
Maximilien se précipita plus qu'il n'entra dans le compartiment. Il
lui prit les mains et les porta avec force à ses lèvres. Il avait
le visage enflammé, le souffle court et sifflant. Elle retira ses
mains des siennes. Elle en posa une sur le front du jeune homme. Il
était brûlant.
''Calmez-vous
mon petit Maximilien. Ne vous mettez pas dans ces états. Vous n'êtes
pas ici pour vous faire du mal.''
''Je
sais, madame, mais c'est de votre faute! Vous me foudroyez!''
''Foudroyé?
Comme vous y allez.'' Elle eut un petit rire de gorge en relevant
légèrement la tête en arrière. '' Regardez dans le bar s'il y a
quelque chose de convenable à boire''
Il
se dirigea vers le petit panneau en marqueterie qui dissimulait une
glacière.
''Champagne?
Eau minérale?''
''Servez
nous deux coupes, mon ami.''
Il
sortit le champagne et une petite bouteille d'eau minérale. Il
remplit deux coupes et un verre d'eau. Il les apporta sur la petite
table basse auprès de laquelle elle s'était assise. Il sortit de la
poche de son gilet une petite boite à pilules en or. Il en avala
deux avec une gorgée d'eau.. Elle le regarda avec un œil
interrogateur.
''
Ces pilules calment ma tension et régulent mon rythme respiratoire.
Je crains d'avoir à les prendre pendant un bon moment encore'' Il
avait dit cela avec un petit sourire triste.
''Oubliez
cela, Max. Et buvons à notre rencontre.''
Il
approcha un fauteuil, s'assit et fit tinter sa coupe de cristal
contre la sienne.
Ils
restèrent quelques secondes silencieux. Il la regardait avec
passion.
''Vous
ne pouvez imaginer ce que je ressens. Vous me rendez fou!'' Et il osa
: ''Ah! Caroline...''
Elle
lui abandonna sa main. Il l'embrassa dans la paume et ses lèvres
remontèrent vers l'intérieur du poignet puis jusqu'à la saignée
du coude. Il posa sa main droite sur sa taille. Et là, elle se dit
que toutes les femmes devraient remercier Poiret d'avoir supprimé
les gaines. Elle avait connu les deux... C'était incomparable...
Maximilien
avait également d'air de s'accoutumer à l'absence de gaine. Mais
elle sentit qu'elle devait réfréner ses ardeurs sinon il allait la
prendre, là, sur la moquette de ce wagon-lit. Si c'était encore de
son âge, ce n'était plus du sien. Elle le repoussa doucement, mais
fermement, de ses deux mains;
''Tout
doux mon ami. Je suis flattée de la vivacité de votre intérêt à
mon égard, mais je ne suis pas votre infirmière de campagne.''
dit-elle en riant. Elle réussit à se dégager et à se lever. Elle
sourit encore devant son air dépité.
''Ne
prenez pas cet air de chien battu. Installez-vous confortablement sur
ce divan. Laissez-moi quelques minutes pour me préparer et nous
reprendrons notre conversation là où nous l'avons laissée.'' Elle
déposa un léger baiser sur sa joue et se retira dans la partie
chambre de son compartiment en fermant la porte derrière elle.
Arrivée dans le cabinet de toilettes elle enleva son turban de
velours noir libérant l'imposante masse de ses cheveux noirs, sa
fierté même si quelques fils argentés commençaient à s'y mêler.
Elle fit glisser à terre le cafetan gris qu'elle portait. Puis sa
combinaison. Elle se regarda, sans complaisance, dans la glace. Bien
sur les seins étaient un peu plus lourds, les hanches un peu plus
rondes. Mais la taille restait bien marquée, les fesses fermes et
les cuisses fuselées. Elle fût satisfaite de l'examen. A 47 ans
elle tenait encore la route, ce qui était rare chez les femmes à
cette époque-là. Elle devait tout cela à son heure quotidienne
d'exercices à la barre. Elle s'y astreignait depuis plus de 30 ans
et c'était devenu comme une drogue. Mais jamais un homme ne l'avait
vue transpirer à la barre.
Après
une légère toilette elle mit un déshabillé de nuit rouge vif
faisant ressortir la matité de son teint et le noir de ses cheveux.
Une goutte de ‘Je reviens’’ de Worth derrière l'oreille et à
l'intérieur des poignets. Elle était prête. Cela l'amusait assez
finalement. C'était comme un flirt. Elle ouvrit la porte de
communication avec le salon, sûre de son effet. Maximilien dormait
sur le divan. Sa première impulsion fut de le réveiller et de le
mettre à la porte manu militari. Elle savait faire. Certains hommes
devaient s'en souvenir encore. Et puis elle le regarda. Il dormait.
La bouche ouverte comme pour mieux aspirer l'air pour ses malheureux
poumons. Les joues creusées comme un stigmate de sa maladie. Il
avait enlevé ses souliers vernis, déboutonné son gilet et ouvert
son col de chemise. Toute colère tombée elle s'assit dans un
fauteuil. Ce gamin lui avait fait ce qu'aucun homme ne lui avait fait
auparavant. Et elle ne lui en voulait pas. C'était la première fois
que cela lui arrivait. Les hommes s'endormaient toujours après (trop
rapidement même parfois), mais avant jamais! Elle voulait tourner
une page de sa vie avec ce départ vers le sud. Eh bien c'était
gagné. Ce gamin venait d'en tourner une autre. Elle se dit qu'à 47
ans elle n'était plus souveraine et qu'elle avait bien fait de
partir. Et lui il dormait abandonné, sans défense, vulnérable mais
en totale confiance. ''Peut être n'aurait-il dû prendre qu'une
seule pilule?'' Elle ressentit comme une forme de tendresse.
''Pas
de ça, cocotte.'' Elle se reprit très vite. C'était probablement
mieux ainsi. Après 5 minutes de réflexion sa décision était
prise. Elle jeta un coup d'œil sur son réveil de voyage Cartier.
Minuit quinze.
Elle
enfila une robe de chambre et sortit dans le couloir et appela le
contrôleur du wagon.
''Quand
arrivons-nous à Lyon?''
''A
4h18''
''Avez-vous
la télégraphie sans fil à bord du train?''
''Bien
sûr, Madame.''
''Bien.
Vous allez télégraphier au Boscolo Grand Hôtel de Lyon de me
réserver une chambre et d'envoyer une voiture me chercher à la
gare. Je prendrai une valise avec moi. Vous direz à la femme de
chambre de refaire l'autre et de la mettre dans le compartiment
bagages avec mes deux malles. Vous veillerez bien à ce qu'une fois à
Nice, le tout soit envoyé à l'Excelsior Hôtel Regina sur la
colline de Cimiez. J'y ai un appartement réservé. Je les
préviendrai de mon retard.''
Après
un moment de silence :
''
Tous ces va et vient se feront par la porte qui donne sur la partie
chambre du compartiment. Il y a dans le salon un jeune homme endormi.
Vous ne le réveillerez qu'une fois que le train aura quitté Lyon.
Vous lui direz.... Et puis non... vous ne lui direz rien du tout.''
''
Tout sera fait comme vous le souhaitez, Madame.''
Elle
rejoignit sa chambre et ferma la porte de communication avec le
salon. Elle ne voulait plus le voir!. Elle s'en voulait un peu. Mais,
bof, ça passerait. Ce n'est pas cette nuit qu'elle allait se laisser
aller à des sentiments.
Une
demi-heure après le contrôleur lui confirmait sa réservation au
Boscolo.
A
Lyon une voiture l'attendait. Sur le chemin de l'hôtel, ils furent
arrêtés par un passage à niveau. Un train défila devant eux dans
un panache de fumée.
''C'est
votre train, Madame, le Paris-Lyon-Méditerranée. Ils seront à
Marseille à 9h47.''
Le
chauffeur entendit un léger bruit derrière lui. Il prit ça pour
une petite toux.