Lundi
matin. 7h30. Métro Bastille. Ligne n°1. Château de Vincennes-la
Défense. Quai aérien, là où le métro sort de terre venant de la
Gare de Lyon pour replonger immédiatement vers St Paul le Marais. Il
est là comme tous les matins, à l’emplacement de la troisième
voiture pour être directement face à la bonne sortie à Esplanade
de la Défense où il travaille pour une banque d’affaires. 32 ans,
il n’est pas très grand, mais on devine un corps robuste modelé
par la pratique régulière du squash et la fréquentation des salles
de gymnastique. Le cheveu très noir et dru, sa peau mate font
ressortir les yeux bleus qu’il tient de sa mère et quand il laisse
le col de sa chemise ouvert la petite touffe de poils noirs qui
démarre à la base du cou ne laisse aucun doute, pense-t-il sur sa
virilité. Il a l’allure parfaite du yuppie. Costume sombre,
mocassins noirs, chemise blanche poignets mousquetaire, serviette en
cuir un peu déformée, elle lui vient de son père, une montre de
prix au poignet, mais il est plutôt Piaget que Rolex, légèrement
vulgaire à son goût. Les seules notes de fantaisie, de couleur,
sont ses cravates, offertes par sa femme pour son anniversaire et
Noël. C’est devenu comme un jeu. Il est curieux à chaque fois de
ce qu’elle osera pour lui… Il est marié depuis 5 ans. Il aime sa
femme raisonnablement et ne l’a jamais trompée. Elle est belle,
élégante, intelligente, du même milieu que lui. Ils ont un petit
garçon adorable de 5 ans, ils habitent boulevard Henri IV, un grand
appartement au dernier étage d’un immeuble donnant sur la place de
la Bastille et le port de l’Arsenal. Ils passent l’été dans une
propriété dans le Lubéron qu’elle tient de ses parents. Aux yeux
de sa famille et de ses amis, il ne lui manque rien pour être
heureux.
La
rame entre dans la station. Il monta dans le troisième wagon. A
cette heure-là ce n’était pas encore la cohue et il put s’asseoir
sur le strapontin directement à droite ! Il ouvrit Libé. Les Echos
ce serait pour le bureau. A la station suivante, St Paul le Marais,
les gens qui montaient l’obligèrent à se lever. Il replia son
journal en quatre pour continuer à lire. En tournant la tête, il
fût arrêté par un regard posé sur lui fixement, à la fois
intense et étrangement vide. Il ressentit un léger choc à
l’estomac. C’était un jeune homme d’environ 20 ans. Il ne
voyait de lui qu’un visage allongé, une tignasse blonde, un sweat
avec une capuche et ces yeux verts, si verts. Il détourna le regard.
Station Hôtel de Ville. Le mouvement des passagers l’obligea à se
reculer un peu vers le centre de la plate-forme. Il s’accrocha à
la barre métallique verticale. Il avait bousculé plusieurs
voyageurs et en se retournant pour s’excuser il vit le regard vert
posé sur lui. ‘’Excusez-moi’’. Le jeune homme lui répondit
par un petit sourire qu’il trouva un peu équivoque et posa sa main
sur le montant métallique, juste au-dessus de la sienne. Il en fut
énervé, regarda fixement la porte devant lui et resta immobile
jusqu’à la station suivante. Louvre. Il profita du va et vient
pour lâcher le montant et s’écarter un peu. Il pût se replonger
dans son journal. Louvre-Rivoli. Le flux des voyageurs ramena le
garçon au sweat juste derrière lui. Le démarrage un peu brusque de
la rame le déséquilibra et l’obligea à faire un pas en arrière.
Il ne s’excusa pas mais il vit dans le reflet de la vitre le visage
du garçon qui avait un grand sourire. ‘’Le petit con…’’.
Tuileries. On lui tapota légèrement sur l’épaule. C’était le
sweat. ’’Excusez-moi, je descends ici’’. Il se glissa entre
lui et un autre voyageur. Pendant une seconde ils furent collés l’un
à l’autre, leurs visages à peine séparés de quelques
centimètres. Il haussa les épaules et sourit d’un air de dire
‘’Désolé, je ne peux pas faire autrement’’. Puis il sortit.
Mais au lieu de prendre l’escalator en face de lui, il se posta
devant la voiture et le regarda fixement, sans sourire jusqu’à ce
que la rame démarre. ‘’ Quel petit con. Il me drague ou quoi ?
Il se prend pour qui ?’’ Il était furieux et gêné. Il
regarda autour de lui. Il lui semblait que tout le monde dans le
wagon s’était rendu compte de son manège. A Concorde, il avait
décidé de ne plus y penser. Et il n’y pensât plus. Jusqu’au
soir où il reprit le métro en sens inverse. Il ne pût s’empêcher
de regarder les passagers qui montaient à Tuileries et descendaient
à Saint Paul le Marais. Mais que lui avait-il pris à ce gamin, il
devait avoir à peine 20 ans ! Ce devait être un pédé. Ça ne le
dérangeait pas plus que ça ! C’était pas ce qui manquait dans le
quartier Bastille-Marais. ‘’Mais pourquoi moi ?’’ se dit-il.
‘’Il a quand même pas cru que moi….’’ Ça ne lui avait
jamais traversé l’esprit.
Ce
soir, il ferait l’amour à sa femme.
Mardi
matin. 7h30. Métro Bastille. Il est là comme tous les jours. Seules
la chemise et la cravate ont changé. Sans vraiment s’en rendre
compte, il a pris un soin particulier dans le choix de sa cravate.
Celle qui lui semblait la plus décalée avec son costume, la plus
‘’fun’’. Son Libé et Les Echos sous le bras il monte dans la
troisième voiture et s’installe à sa place habituelle, tout de
suite à droite, sur le strapontin.
Il
eut un petit choc à l’estomac quand, à St Paul le Marais, il vit
le garçon au sweat monter dans la voiture. Cette fois il resta près
de la portière, s’accrochant de la main droite à la barre, et
l’obligeant, lui, à se mettre debout. Il tourna la tête vers lui,
toujours ces yeux verts, si verts, et lui dit à voix basse
‘’Bonjour’’ avec un petit sourire. Il fut incapable de
répondre, le visage comme statufié. Le garçon était de profil à
une vingtaine de centimètres de lui. Il avait une tignasse blonde,
mi-longue, bouclée qu’il devait avoir du mal à domestiquer le
matin. Le sourcil était épais, d’un blond plus foncé et les cils
incroyablement fournis. ’’Trop pour un homme’’ se dit-il. Le
nez était un peu long avec une petite bosse au milieu et les narines
fines. En dessous les lèvres étaient charnues. ‘’Trop féminin
ça aussi’’. Les joues et le menton étaient lisses, vierges de
tout poil. ‘’Il ne doit pas passer beaucoup de temps à se raser
le matin. Et ça doit être comme ça sur tout le corps’’. Il fut
brusquement gêné par cette pensée et la vision d’un corps
imberbe. Pour se ressaisir il se racla la gorge et en changeant de
jambe d’appui, il frôla le bras du garçon qui tourna la tête et
lui adressa un grand sourire. Les deux incisives du haut se
chevauchaient légèrement. ‘’Il va quand même pas croire que je
l’ai fait exprès ce petit con.’’ Mais le fait est que le
‘’petit con’’ ne semblait plus lutter contre les à-coups du
métro et se laissait aller contre son corps. ‘’Mais qu’est-ce
qu’il fait là, je peux quand même pas lui foutre une baffe et lui
demander de me laisser tranquille comme une femme qui se fait peloter
les fesses !’’ Cela dura jusqu’à Tuileries. Et comme hier il
resta sur le quai à le regarder partir en souriant. Ce jour-là il
eut un peu de mal à évacuer cela de ses pensées ! Mais les images
du matin revinrent en force dans le trajet du retour. Il décida que
ce soir aussi il ferait l’amour à sa femme.
Mercredi
matin. 7h30. Métro Bastille. Devant l’emplacement de la troisième
voiture, il a sa tête des mauvais jours. Hier soir cela a été un
fiasco. La panne ! Malgré ses efforts et les propos rassurants de sa
femme. Il est effondré. C’est la première fois. A 32 ans c’est
pas normal ! Il avait mal dormi ne pouvant chasser de son esprit la
vision d’une tignasse blonde et d’un corps imberbe. ‘’Bon ça
suffit maintenant. Je vais pas me pourrir la vie avec ces conneries.
Je suis pas une midinette. Au premier geste équivoque, je lui rentre
dedans ’’.
St
Paul le Marais. Les portes s’ouvrent. Personne, il n’est pas là.
Et loin d’être rassuré, il est tout décontenancé. Toute son
agressivité est tombée. Les portes se referment et il le voit qui
arrive en courant et lui faire un sourire triste en haussant les
épaules et en écartant les bras. Il reste tout penaud contre son
strapontin. Et il se rend compte brusquement que ce petit parcours
raté de trois stations de métro va lui pourrir sa journée.. Et
soudain, il se fige, incrédule, tétanisé. Il bande. Il bande comme
ça, pour trois fois rien. Juste pour un petit mec à la tignasse
blonde et aux yeux verts qui a raté son métro ! Il sait qu’il ne
pensera qu’à ça toute la journée.
Jeudi
matin. 7h30. Métro Bastille. Il n’a pas fermé l’œil de la
nuit. Il a une boule au creux de l’estomac. Il regarde sa montre
pour être sûr que c’est la bonne rame et il s’installe contre
son strapontin relevé. La rame plonge dans le tunnel. St Paul le
Marais. Il est là, tout sourire. Il bouscule deux personnes pour
s’installer à son côté. ‘’Bonjour’’. Il réussit à
articuler : ‘’Bonjour’’. ‘’Désolé pour hier. J’ai pas
couru assez vite’’. ‘’C’est pas grave’’. ‘’Tu m’as
manqué’’. Il déglutit et réussit à dire : ‘’Vous aussi’’.
C’est alors qu’il sent la main du garçon caresser la sienne. Il
est tout surpris de ne pas retirer sa main. Au contraire il lui rend
cette caresse. Tout va alors très vite. Hôtel de Ville. Les portes
s’ouvrent. Le garçon le prend par le bras et lui dit : ‘’Viens,
on descend’’. 20 secondes plus tard le train repart et ils
restent sur le quai. ‘’Moi c’est Kevin’’, ‘’Christian’’.
‘’Je suis content. Viens’’. Il le prend par le coude et
Christian, sans volonté se laisse entraîner vers la sortie.
‘’ Je
bosse à l’Inter-Continental, rue de Castiglione. Je suis off
aujourd’hui. Mais je me suis levé quand même. Je ne voulais pas
te louper une deuxième fois. Et toi ?’’ Ils étaient sur le
trottoir en face du BHV. Christian se demandait ce qu’il faisait
là, à cette heure-là, sur le pavé de Paris. ‘’ Je travaille à
la Défense’’. Il avait répondu sans réfléchir. Il avait le
sentiment de ne plus s’appartenir totalement. ‘’Cool. Ça se
voit. T’as vraiment l’air d’un cadre sup’’. Un long silence
suivit. Christian était incapable de dire quelque chose. ‘’ Tu
sais, relança le garçon, c’est pas trop mon truc de draguer les
mecs comme ça. Mais là ça a été plus fort que moi et puis j’ai
senti que t’étais réceptif’’. Il lui lança un clin d’œil.
‘’ Je ne sais pas. Ce genre de chose ne m’arrive pas souvent.
C’est même la première fois.’’ ‘’ T’es pas gay ?’’
‘’Non !’’ Le garçon écarquilla ses yeux verts et eut un
large sourire. ‘’Wouahh. Quel pied ! Un bel hétéro puceau avec
les hommes…T’es un rêve de gay tu sais ?’’ Le fait d’être
considéré comme un bon coup le dégrisa brusquement. ‘’Arrête
tes conneries s’il te plait’’. Le garçon fit machine arrière.
‘’ Excuse-moi. C’est pas ce que j’ai voulu dire’’.
Christian eut le sentiment de reprendre la main. Il préférait ça.
Le passage d’une arroseuse municipale les obligea à faire un pas
de côté. ‘’ Ne restons pas là, dit le garçon. Tu veux pas
venir boire un café chez moi, j’habite tout près.’’ ‘’Non.
Je bosse. Je suis pas off moi.’’ ‘’ Dis leur que tu arriveras
en retard’’. Dans la tête de Christian le choix fut vite fait.
Dire oui l’entraînerait il ne savait pas trop où, mais il savait
qu’il regretterait d’avoir dit non. Il prit son portable dans sa
poche et composa un numéro. ‘’ Marie ? C’est moi. J’ai un
problème. Rien de grave mais je ne serai pas au bureau ce matin.
Décalez mes rendez-vous. A tout à l’heure’’ Il allait
raccrocher…’’ Ah Marie. N’essayez pas de m’appeler. Je
serai injoignable.’’ ‘’Eh ben voilà’’ fit le garçon.
‘’Viens’’ lui dit-il pour la seconde fois.
A suivre... demain
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