Je ne suis pas fan des ''pensées'' pseudo philosophiques que l'on peut lire ici ou là.
Mais je sais faire aussi:
''Le drame de notre époque c'est que la bêtise se soit mise à penser'' Jean Cocteau.
mercredi 13 mai 2015
dimanche 10 mai 2015
Géographie amoureuse
J'aime
les forêts obscures, les mousses sombres sous les branches des
troncs, les recoins secrets, les plages de sable brun, les grands
lacs noirs comme des yeux, les mamelons charnus et frémissants à la
moindre caresse du vent, les pitons bruns veinés de bleu, les
volcans en éruption, les chaudes pluies dorées de l'été, les
gouffres insondables, les grottes nacrées où les lèvres vont se
rafraîchir, les collines en pente douce vers des plaines où il fait
bon s'allonger, les troncs d'arbre comme des cuisses bien plantés
sur le sol et portant à leur sommet des fruits à se damner, les
arômes épicés plus que les brouets blonds, les déserts brûlants
cachant des oasis enivrantes. J'aime les purs sang qui font battre le
cœur au rythme de leur galop et qui s'ébrouent vous brûlant de
leur écume vous laissant quasi morts et qui penchent leur col pour
vérifier que le feu de votre visage n'est pas que celui de la course
folle!
lundi 4 mai 2015
Madame D...
''Renaud,
es-tu monté dire bonjour à Madame D... ''? Madame D... venait une
fois par semaine, le vendredi, faire des travaux de couture chez
Joseph et Guyonne. Elle travaillait dans une pièce, qui servait
également au repassage, au deuxième étage de la grande maison du
Mans. Je crois que je l'ai toujours vue assise dans son fauteuil tiré
près de la fenêtre donnant sur le jardin. A sa gauche, une table où
s'entassait l'ouvrage à faire, à droite un guéridon en acajou dont
le plateau et le tiroir débordaient de tout ce qui lui était
nécessaire pour coudre, ravauder, repriser, rapetasser, raccommoder,
rapiécer, rafistoler... Treize enfants, dont les plus jeunes élevés
pendant la guerre, cela avait formé chez mes grands parents une
économie et une pratique domestiques fortes dont ils ne s'étaient
plus départis.
Le
tiroir du guéridon était une vraie caverne d'Ali Baba. Des boutons
par centaines en bois, en os, en nacre, en corne. Multicolores. Des
boutons-pression pour les chemisiers, des fermetures à glissières
pour les jupes, des élastiques pour retendre des caleçons qui ne
tenaient plus à la taille. Des aiguilles plantées dans des petits
morceaux de tissu noir avec des bouts de fils encore passés dans le
chas.
Mon
oncle curé nous avait raconté un jour une histoire de paradis, de
riche, de chameau, de chas... C'est quoi un chas avais-je demandé.
Le trou d'une aiguille. Le souvenir des méharis du Tchad m'avait
laissé perplexe...
Des
pelotes d'épingles en métal à tête plate ou rondes et
multicolores. Un mètre de couturière négligemment déroulé. Des
ciseaux petits, grands, à bouts ronds ou pointus. Et sur le
guéridon, dans une corbeille en osier, du fil, des fils. De toutes
les couleurs, en lin, en laine, en coton, en bobines, en écheveaux,
roulés en boule, en vrac... Et posés au milieu de cette corbeille,
deux objets magnifiques. Deux œufs à repriser les chaussettes. L'un
en bois blond, l'autre plus foncé. Cela me fascinait de voir Madame
D... repriser une chaussette. Elle mettait l'objet dans la
chaussette, la serrait fortement à la base de l'œuf pour qu'elle
soit bien tendue sur la surface polie, faisait glisser l'aiguille et
reprisait le trou causé par l'ongle trop long d'un gros orteil. Le
soir parfois, je dormais dans la chambre à coté, je prenais les
œufs dans ma main, les caressais, éprouvais leur douceur contre ma
joue. J'y ai même souvent posé les lèvres. Puis j'allais me
coucher sans oublier de faire ma prière...
A
l'époque, Madame D... devait avoir cinquante, cinquante-cinq ans. Je
ne l'ai jamais vue autrement qu'habillée en noir. Seules couleurs,
le blanc de sa peau et le rouge de ses lèvres. Ses cheveux, encore
très noirs et à peine striés de gris, étaient coiffés en chignon
bas retenu par une résille. Elle tenait très droite une tête
orgueilleuse au visage beau et carré. Ses yeux très noirs étaient
surmontés de sourcils surlignés au crayon gras, son nez un peu fort
mais droit. Sa lèvre inférieure était bien ourlée mais le rouge à
lèvres remodelait un peu la faiblesse de la lèvre supérieure. Je
garde le souvenir de son châle noir sur les épaules et de ses
mitaines tricotées, noires également.
Madame
D... avait dû être une belle femme. Une de ces femmes à la beauté
un peu lourde soulignée par deux gouttes de Shalimar derrière
l'oreille et à la saignée du poignet. Je ne sais pas si elle avait
eu les moyens de ces essences de Guerlain, mais cela ne devait plus
être le cas aujourd'hui. Madame D... avait eu des revers de fortune
et pour survivre faisait des travaux de couture dans quelques
familles de la bonne société mancelle.
A
la maison, on parlait d'elle à demi-mot et jamais devant les
enfants. Ce n'est que plus tard que j'ai appris que Madame D... avait
pire qu'une histoire. Un passé.
C'était
la fille unique d'un couple de commerçants aisés qui l'avait eue
sur le tard. C'était une enfant belle, vive, intelligente. Ses
parents la mirent en pension dans une institution religieuse où les
bonnes sœurs lui donnèrent un solide bagage intellectuel et lui
apprirent les bonnes manières. Elle était destinée à faire un
beau mariage bourgeois. Mariage il y eut. Mais bâclé, dans
l'urgence, avec un voyageur de commerce. Mariage sans amour et
finalement inutile puisqu'elle fit une fausse couche deux mois après
la cérémonie. Elle n'aimait pas son mari qui ne l'aimait pas
davantage. Cela ne l'empêcha pas de récupérer le magasin de ses
beaux-parents à leur mort. Le voyageur de commerce s'était
sédentarisé. Mais les femmes, le jeu et l'incompétence eurent peu
à peu raison du patrimoine hérité.
Paradoxalement
la libération de Madame D... vint avec l'occupation. Son mari,
mobilisé en 1939, ne trouva pas la drôle de guerre à son goût et
en mourut. Et Madame D... se décida à avoir un veuvage joyeux. Elle
n'avait pas quarante ans, elle était belle, d'une sensualité,
probablement bridée par un mari maladroit, et qui n'attendait qu'à
s'épanouir. Elle aimait les uniformes et les hommes. Grands, forts,
blonds. Et ceux-là étaient attirés par cette beauté brune et
capiteuse bien différente des femmes de leur pays. Et Le Mans lui
fut une fête. Elle eut quelques amants avant de tomber amoureuse
d'un officier et d'être heureuse loin de toute préoccupation
politique ou idéologique.
Mais
quatre ans, cela passe très vite. A la Libération elle s'était
retrouvée seule. Plus de famille. Les amis ? Ils se partageaient
entre ceux qui étaient partis et ceux qui se détournaient d'elle
aujourd'hui. Elle avait échappé à la tonte, mais les regards
lourds de reproches et les chuchotements sur son passage étaient à
peine moins durs à supporter. Elle avait dû vendre tout ce qu'elle
possédait. A n'importe quel prix. Ceux qui s'étaient enrichis au
trafic du marché noir ne pouvaient pas donner un prix honnête aux
biens d'une femme qui avait traficoté avec l'occupant. ''Y a trafic
et trafic ma bonne dame ! Et nous au moins on a pas couché !''
Elle
s'était installée dans un petit deux-pièces sous les toits, rue de
l'Etoile . Personne n'était jamais entré chez elle. Elle ne
recevait pas. Ses seules sorties étaient pour aller faire ses
travaux de couture dans cinq ou six familles et assister à la messe
de dix-huit heures le dimanche à N.D. de la Visitation. Tout cela
n'empêche pas la religion...
Elle
avait compris que sa discrétion, son humilité et la dignité de son
comportement actuel pouvaient racheter, en partie, son ''indignité''
passée. C'était le prix à payer pour la compassion et la charité
qui lui étaient accordées.
Quelques
années plus tard, je demandais ce qu'elle était devenue.
On
l'avait retrouvée morte un matin allongée sur le plancher de sa
petite chambre. Ses voisins du dessous avaient entendu du bruit la
nuit et ce qui semblaient être des plaintes, mais ne s'étaient
inquiétés qu'au petit matin. Elle était effondrée au pied de son
lit, en chemise, démaquillée, sans sourcils, blafarde, ses cheveux
dénoués, en un mot, elle toujours si impeccablement mise, négligée.
Seule touche de couleur à son annulaire gauche une bague. Un petit
rubis entouré d'éclats de diamants. Un cadeau de son amant officier
et qu'elle avait toujours refusé de sacrifier dans son naufrage.
Souvenir de quatre années de guerre, quatre années de bonheur dans
une vie massacrée.
''Comment
vas-tu mon petit Renaud? Tu as bien travaillé?'' Et elle sortait un
bonbon à la menthe d'une petite aumônière qu'elle portait à la
ceinture. Sa mitaine en glissant laissait apparaître l'éclat d'un
petit rubis.
vendredi 1 mai 2015
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